Les imbéciles, ils ne savent pas combien la moitié est plus que le tout, ni quel profit il y a dans la mauve et l’asphodèle. Car c’est en le cachant que les dieux tiennent le blé de la vie à la disposition des hommes.
Hésiode, Les travaux et les jours, vers 40-42.
Un arbre est un arbre : il fait de l’ombre, cache la vue ou, pour certains, permet de se chauffer. Une plante à fleurs est une plante à fleurs : on pourra en faire un bouquet ou en décorer son balcon. Mais qui sait encore que c’est à partir de l’écorce de saule que l’on prépare l’aspirine, que les pissenlits et les épinards sauvages sont délicieux en salade, que la myrtille soigne les vaisseaux oculaires, ou encore qu’une teinture-mère de plantain (cette « mauvaise herbe » parmi tant d’autres) soigne le rhume des foins ? Et quand bien même on le saurait, bien peu apprennent à guetter, dans les friches et les bas-côtés, ce qu’ils peuvent acheter au supermarché bio ou à la para-pharmacie du coin. Quant aux diplômés de la médecine et de la pharmacologie conventionnelles, la plupart se contente de distribuer sans autre considération les molécules pour lesquelles les « labos » ont obtenu une « Autorisation de Mise sur le Marché » – passe-partout de leur commercialisation, qui sera peut-être révoqué si un scandale vient mettre au-devant de la scène des effets collatéraux inattendus.
Contre cette dépossession organisée, un des premiers gestes pourrait consister à retrouver, à coup d’expériences, d’actualisation et de transmission de savoirs étouffés souvent millénaires, une pharmacologie profane qui rende aux éléments végétaux une partie de leur puissance de soin et de leur essence propre. Mais cueillir, préparer, reconnaître les plantes, n’ouvre pas seulement sur des pratiques ou des connaissances à compiler. Cela ouvre des mondes au sein desquels les rhizomes ne sont plus seulement végétaux, les herbes ne sont jamais mauvaises, et où partout l’ensauvagement guette. Dans ces espaces autrement habités, on croisera des vagabondes cueilleuses, une Ronce et une Gentiane qui se demandent comment prendre soin, et qui pourront même convoquer d’anciennes sorcières pour tenter de saisir un peu de leur manière d’être au monde (1).
(1) Si le petit peuple ici présenté est principalement féminin, il ne l’est sans doute pas essentiellement, au nom d’une soi-disant disposition particulière des femmes pour « les choses de la nature » ou « l’attention à leurs proches ».