0ù l’on participe au spectacle et à son côté obscur
Nous sommes au tout début des années 2000, les ritournelles antimondialistes bruissent un peu partout : « un autre monde est possible », « non aux OGM », « non à l’OMC », José Bové tourne en boucle à la télévision. Des réflexions, des théories, des actions et des rassemblements massifs donnent le tempo de ce « mouvement des mouvements », le drapent, peut-être exagérément, de l’attractivité du nouveau. Ce dernier dénonce des ennemis clairement identifiés : l’ultralibéralisme, les institutions internationales, le système économique mondial, et il fait l’hypothèse qu’en les stoppant pourrait peut-être se renverser l’ordre mondial tout entier. Dès lors, à chaque rassemblement des « grands de ce monde » (FMI, OMC, Union européenne…), un contre-sommet viendra perturber la sauterie en encerclant et attaquant la zone rouge où se retranchent les dirigeants. Plus tard, ailleurs, loin des affrontements, d’autres forums « pour un autre mondialisme » matérialisent la volonté de transformer « l’anti » en « alter » mondialisme. Ils s’appellent « forums sociaux » et les premiers se tiendront à Porto Allegre au Brésil.
Un nouvel internationalisme se développe. Il rappelle à la politique ceux qui s’en étaient provisoirement éloignés, mais surtout, il embarque avec lui toute une nouvelle génération, une jeunesse. Nous qui, vierges d’idéologies, sans réseaux ni expérience, nous engageâmes à « faucher les OGM » et « détruire les multinationales », nous allions cultiver une attirance ambiguë à l’égard de ce « mouvement des mouvements ». Un mélange de fascination – pour le nombre de personnes que cela rassemblait, pour les liens transnationaux et pour l’aura populaire et médiatique certaine qu’il savait se donner – et de frustration. Frustration car, de l’intérieur, les rassemblements massifs prenaient bien souvent des airs de bêtes festivals, les actions directes s’éloignaient rarement du strict nécessaire au coup de pub médiatique, et le leader charismatique, contenant la base comme tout leader, suintait l’arrivisme à pleine moustache. Nous sommes tombés et retombés bien des fois dans le panneau de la politique émotionnelle d’extrême-gauche : du bruit, des menaces, de la tension et finalement l’accouchement d’une souris.
Une fois ces doutes formulés, il demeure que les espaces qu’a ouverts l’antimondialisation furent de véritables points de départ pour beaucoup qui s’y rendaient par curiosité, la tête ouverte. C’est ce que retient encore Patrick, dix ans après avoir organisé les rassemblements de Millau en 2000 et du Larzac en 2003. Plus loin, lors des émeutes du contre-sommet de Gênes en 2001, nous suivrons ceux qui, tout de noir vêtus, « n’en pouvaient plus du spectacle de la contestation ». Nous traverserons ensuite la Méditerranée jusqu’en Palestine – pays que nous n’atteindrons néanmoins jamais… Et enfin nous découvrirons la chute de cette petite histoire : il y a quatre Belges dans un groupe politique, leurs grilles de lecture tombent à l’eau, que reste-t-il ?