0ù l’on se jette corps et âme dans la bataille, quitte à y laisser quelques plumes et un peu de lucidité
Après le CPE, on a bien dû se retrouver quelques milliers à ne pas vouloir reprendre une vie normale. À déserter les cours, à ouvrir des squats, à se jurer des complicités à la vie à la mort, à préparer le prochain mouvement social. À avoir pris au sérieux le bel élan de ce printemps-là, au point de faire nôtre l’assomption guerrière de la Mafia k’1 fry : « On l’a pas souhaité mais c’est la guerre. » Une vague qui aura mis plus de trois ans à se retirer, après l’échec des deux mouvements étudiants contre la LRU (Loi Relative aux libertés et responsabilités des Universités) tentant de rejouer 2006 sur le même air – alors que les autorités universitaires avaient appris à gérer les grèves et développé une série de mesures sécuritaires. Après, aussi, un changement de style dans l’exercice du gouvernement, avec comme nouveaux slogans, assénés avec une morgue de nouveau riche : « restauration de l’ordre » et « liquidation de l’État providence ». Il n’en fallait pas plus pour qu’on le prenne pour nous : d’un côté, nous avions opté pour le désordre comme méthode ; d’un autre, nous faisions le pari que la fin du compromis historique qu’avait scellé la mise en place du système de gestion sociale à la française réactivait une période de conflits francs et ouverts.
Ça a été en partie le cas, par exemple avec le raidissement des luttes ouvrières : défaite des cheminots en 2007, retour de flammes avec la vague d’occupations/ séquestrations/menaces de 2009 dans les usines. Mais la rhétorique reste de la rhétorique, et la politique politicienne reste de la gestion, autrement dit, pour beaucoup, de la conjuration du conflit – il aurait fallu un nabot autrement malfaisant pour entraîner volontairement le pays dans la guerre civile [1]. De notre côté, aussi, la détermination a manqué. Le mouvement des retraites de 2010, dont on peut considérer qu’il clôt la période, a été loin d’assumer, au-delà du symbolique, son mot d’ordre de blocage de l’économie. L’affrontement décisif attendra.
Par ailleurs, le pouvoir a de la ressource en matière de contre-insurrection : par quelques vulgaires opérations de pacification, ceux qui souhaitaient participer à la menace d’un bouleversement révolutionnaire ont été capturés dans une figure de la « menace terroriste », dans laquelle ils ont pu croiser, entre autres, des indépendantistes basques, des émeutiers des quartiers populaires et quelques partisans d’un Islam radical. De rapports de police en articles de presse, de coups de filets savamment mis en scène en tracasseries judiciaires kafkaïennes, la construction de la figure anarcho-autonome a tenté de figer le mouvement qui avait pris forme au milieu de la décennie.
Le mouvement en question étant loin de consister en une pure offensive armée, l’opération a en grande partie fait long feu, et l’histoire ne s’arrête pas là…
[1] « Nabot malfaisant » est une expression de Marx pour désigner Adolphe Thiers, massacreur de la Commune de Paris.