Hérésie et transe
Donner, c’est perdre, bousiller, sans image économique. C’est jouer passionnément sa dénégation d’un monde ordonné par l’économie […] On mise sur l’infini, la réponse est l’ivresse des possibles.
Jean Duvignaud
Les noceurs de la cambrousse : On a les mains dans le cambouis depuis deux semaines. Hier, on était plongé dans une installation mobile, un truc énorme, quand tout à coup on s’arrête de bricoler, on se regarde et on se dit : « Putain, ça fait des mois qu’on travaille à ce truc et tout va disparaître, se consumer en quelques heures. » On a souri et on est tombé d’accord pour dire que c’était peut-être ça le plus beau. On ne sait pas si on peut dire que c’est pour la « beauté du geste » ou si c’est pour rien, tout simplement. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que c’est sans se dire que la fête le vaut bien. Tout ça, ça n’a pas de valeur, ça ne se chiffre pas, ça ne se mesure pas, même si c’est dur de trouver d’autres mots pour parler de cet engouement. Ça va encore plus loin que le « gratuit ». Ce qu’on trouve génial, c’est de jeter les choses ensemble, de les perdre sans espoir qu’elles ne reviennent, sans même de vraies justifications quant à pourquoi on le fait. Juste pour le plaisir des moments que ça va engendrer. Une sorte de don sans retour, très ludique, pour la fête, pour nous. Dans un monde aussi marqué par l’économie et la valeur dans son sens large, c’est presque hérétique comme comportement ! C’est une dimension que nous avons apprise en faisant. On peut chercher toutes les histoires ou les récits que l’on veut pour donner du sens aux choses, elles ne trouveront leurs réelles dimensions qu’avec ce style si propre à la fête. C’est également ce qui évite que, dans sa répétition, la fête ne devienne une contre-cérémonie et qu’elle perde sa dimension subversive.