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La création de la caisse date d’avril/mai 2006, juste après le CPE. Elle est née au sein du collectif « témoins », qui s’occupe des affaires de violences policières, notamment dans les quartiers de l’agglomération. Plus largement, c’est une émanation du mouvement anti-autoritaire lyonnais, au même titre que Radio Canut ou rebellyon.info par exemple, c’est un outil commun que différents groupes peuvent investir ou mobiliser.
À l’époque, on cherchait un moyen de pérenniser les comités de soutien aux inculpés qui se constituaient autour d’histoires précises, d’un événement, d’une manif, etc. À chaque fois, il fallait un peu repartir de zéro pour les affaires suivantes. En 2005, en plus des affaires suivies par « témoins », il y avait eu la Manifestive du printemps 2005 – coups de Taser, outrages et rébellions, et une procédure judiciaire qui traîne encore huit ans plus tard. Il y avait eu la création du collectif « État d’urgence » suite aux émeutes de novembre, et bien sûr la répression du CPE. Ce sont des affaires qu’il faut suivre sur le long terme (les procès arrivent longtemps après les faits, les frais de justice s’étalent dans le temps, etc.) et les comités de soutien n’y survivaient pas forcément.
Dès le départ, l’idée c’était d’avoir un outil/organe/orga – ce ne sont pas vraiment les bons mots – en tout cas quelque chose de repérable, constitué pour pouvoir agir sur les affaires de répression, aussi bien celles qui touchent les militants ou celles qui ont un écho médiatique que celles qui relèvent de la répression « quotidienne ».
Entre nous au début, quand on cherchait un nom, on l’appelait en déconnant la « caisse qu’on attend ». Il y avait vraiment l’idée de n’être pas juste un outil d’anti-répression, qui arrive après la bagarre pour ramasser les blessés. On voulait que cette caisse permette de s’exposer un minimum à la répression en sachant qu’on ne se retrouvera pas seul si on se fait prendre.
Concrètement, la caisse sert à payer les frais de justice au sens large, les frais d’avocat notamment, et à envoyer des mandats aux prisonniers. On finance aussi l’impression de tracts de conseils en manif, pour faire tourner les infos, les trucs à savoir, et pour diffuser notre numéro de téléphone.
Une de nos principales activités, c’est d’informer sur le fichage ADN et surtout sur son refus. On est convaincu que, comme pour les conseils en manifs, les gens vont mieux savoir se défendre et faire moins de conneries s’ils ont les informations. Surtout, il est important que les gens qui refusent de donner leur ADN soient soutenus, y compris financièrement donc, et que ça se sache, pour qu’il soit plus facile de refuser pour les prochains que la police scientifique voudrait faire cracher.
L’argent est récolté régulièrement (par des dons mensuels, par prélèvement automatique) ou ponctuellement (repas de quartier, soirée de soutien, etc.). En général, quand il y en a beaucoup qui rentre, beaucoup en sort aussi, parce que cela correspond à des périodes d’agitation sociale. On se retrouve vite, au final, à brasser des milliers d’euros.
Avec les années, on a aussi pu développer un réseau autour de la caisse, notamment un réseau d’avocats qui s’engagent, plus ou moins, à s’occuper des dossiers pour pas trop cher. L’intérêt de la caisse, c’est aussi de comprendre les stratégies policières et juridiques. Et d’en développer nous-mêmes. Là on se bat sur leur terrain à eux, alors que pour les questions d’argent ou de soutien, on développe nos propres outils de lutte. Des gens se spécialisent un peu dans ce domaine. Petit à petit, des savoirs s’accumulent, sur la justice et ses rouages ; ça aide, même si ce n’est pas un idéal de devenir les experts sur ces questions-là…
La caisse de solidarité est maintenant connue, reconnue, ce qui donne une espèce de légitimité aux communiqués, aux témoignages, aux conseils, etc. Une des activités de la caisse consiste à publiciser des témoignages de violences policières, mais aussi à proposer des analyses sur la répression (par exemple sur la manif no-TAV du 3 décembre 2012 et la stratégie policière de verrouillage total du quartier, ou bien quand les flics convoquent des militants pour tenter d’en faire des indics).
Grande question. Il y a des cas assez simples, et d’autres qui le sont beaucoup moins ! D’abord, on ne fait pas de distinction entre « militant » ou « non militant », ni pour les personnes, ni pour les actes. C’est d’autant plus important pour nous dans une période où il y a clairement une opération du pouvoir qui cible un certain type d’actes politiques, à travers la création de la figure de l’anarcho-autonome. Cette figure du pouvoir pourrait déboucher sur une crispation de nos positions, c’est pourquoi il est d’autant plus important que nous ne fassions pas de distinction entre répression « politique » et répression des « droits communs ». Pour nous, la logique répressive qui vise à contenir ce qui déborde est la même, qu’elle s’affiche « politique » ou non.
On se fiche aussi de savoir si quelqu’un est innocent ou coupable, du moment que ce qui lui est reproché est en lien avec une forme de répression (par exemple s’il s’est fait taper sur la gueule par les flics et qu’il est poursuivi pour rébellion).
Mais là où ça devient compliqué c’est qu’il n’y a pas vraiment d’autres règles tacites que celle-là, et sur la question des actes qu’on va défendre ou pas, on n’est pas très clairs, en dehors des actes « militants » ou de ceux liés aux mouvements de révolte (voitures brûlées, affrontements avec la police, etc.). Pour des vols, la question ne se pose a priori pas trop, car cette pratique est une forme de réappropriation et de refus de la propriété privée ; mais quand c’est un mec qui a arnaqué son pote handicapé mental, et dont quelqu’un qu’on connaît nous parle (situation vécue), que fait-on ? Il a besoin d’argent pour cantiner, il a besoin d’un avocat, etc. Je ne sais plus ce qu’on a fait ! Il me semble qu’on lui a dit que ce n’était pas trop le but de la caisse… Concernant d’autres histoires, il nous est arrivé de filer un peu de thunes pour un mandat, et basta, en disant, idem, que ce n’était pas le but de la caisse.
On n’a jamais refusé d’aider quelqu’un pour une question d’argent en fait, quand on n’en avait pas beaucoup, on le répartissait entre les affaires du moment. On n’a jamais eu à dire à quelqu’un : on n’a pas de thunes, on ne peut pas t’aider. Mais bien sûr on ne peut pas faire face à toutes les affaires en cours, même si on se limitait à Lyon intra muros, ou à un seul quartier de Vénissieux. Mais cela ne règle pas la question de qui on aide et de qui on n’aide pas. En fait, c’est une chose à propos de laquelle on n’a jamais voulu trancher. Et si dans les discussions entre nous ce n’est pas forcément simple, ça devient vite très compliqué de justifier auprès de l’extérieur une ligne de conduite qui s’apparente davantage à du feeling, qui fluctue au gré des liens qu’on va pouvoir établir avec la personne, aussi. Parce que créer des liens avec des gens, de la solidarité, c’est quand même l’un des buts de la caisse.
Comment est-on au courant des affaires ? En allant aux comparutions immédiates (à l’issue de la garde à vue), là où sont jugées la plupart des histoires d’outrage et rébellion. On y va beaucoup moins maintenant, sauf pendant les mouvements, mais alors des gens viennent nous relayer.
Et c’est là où tu vois que tout le monde peut se sentir impliqué dans la caisse, y participer d’une manière ou d’une autre, sans forcément être repéré comme y appartenant, ou se taper les réunions, etc. Après ça se diffuse aussi par le bouche-à-oreille, des gens connaissent des gens qui ont des problèmes et connaissent eux-mêmes l’existence de la caisse… L’information a un peu tourné ces dernières années, surtout dans les quartiers.
Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, le mouvement ouvrier a commencé à se structurer autour des caisses de résistance, mutuelles de travailleurs plus ou moins informelles pour s’entraider en cas de coup dur, grève, chômage ou maladie. Mettre du fric (...)