Constellations

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Entretien avec sub

témoin actif de l’apparition des hackerspaces en France

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Le Chœur ion du texte
présentation du texte  

Avez-vous déjà essayé de démonter un MacBook ? Et votre téléphone portable ? Peut-être alors le lecteur DVD du salon, celui dont le tiroir se bloque aléatoirement pour une raison inconnue ? … Et ça a marché ?
Lorsqu’on aborde la question des savoir-faire, un des lieux les plus criants de l’organisation de la dépossession est celui des « nouvelles technologies ». Sans même parler de la pratique commerciale de l’obsolescence programmée (1), on peut d’emblée observer que la plupart des objets électroniques ne sont pas faits pour être démontés dans son garage. « Warranty void if broken (2) », vous préviendra un autocollant si vous enlevez une vis de trop – si vis il y a d’ailleurs, nombre de ces petites machines étant serties en usine. Pour quiconque s’attaque à la réparation de tels objets, avec peut-être en mémoire le talent du grand-père qui savait redonner vie à des transistors, l’appropriation des subtilités de l’électronique relève du parcours du combattant. Car même quand on se décide à renoncer à cette fichue garantie, il faut encore s’y entendre un minimum en matière de circuits imprimés et de puces électroniques. La plupart renonceront et iront s’acheter une nouvelle machine, la réparation coûtant souvent plus cher que l’achat du neuf. Il est pourtant quelques ingénieurs, électroniciens et autres Géo Trouvetout plus ou moins autodidactes, qui, énervés par tant de monopole, ont décidé de ne pas laisser leurs compétences dans leur poche. Ils se sont mis en tête d’organiser des ateliers où se transmettrait une certaine démystification du bricolage électronique…


(1)Cette notion désigne le fait que certains objets sont prévus, dès leur conception, pour tomber en panne ou être rendus obsolètes au bout d’un certain temps, avant qu’une panne « naturelle » ne survienne.
(2)« La garantie sera perdue si ce sceau est brisé. »

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Désertion

  • Incipit vita nova
  • Odyssée post-CPE
  • Y connaissait degun, le Parisien
  • Fugues mineures en ZAD majeure
  • Mots d’absence
  • Tant qu’il y aura de l’argent

Trajectoires I - 1999-2003 – L’antimondialisation

  • Millau-Larzac : les coulisses de l’altermondialisme
  • Genova 2001 - prises de vues
  • Les points sur la police I
  • Les pieds dans la Moqata
  • OGM et société industrielle

Savoir-faire

  • Mano Verda - Les mains dans la terre
    • Les pieds dans les pommes
    • Agrisquats – ZAD et Dijon
    • Cueillettes, avec ou sans philtres
      • Récoltes sauvages
      • Correspondance autour des plantes et du soin
      • Des âmes damnées
  • Interlude
  • Devenirs constructeurs
    • Construction-barricades-occupation
      • 15 ans de barricadage de portes de squats
      • Hôtel de 4 étages VS électricien sans diplôme d’État
      • Réoccupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
    • Constructions pérennes–installations agricoles
    • Maîtrise technique
      • Chantiers collectifs
      • Apprentissage et transmission du savoir
      • Outils et fabrique
    • Gestes et imaginaire

Fêtes sauvages

  • Prélude
  • Faire la fête
    • Entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
    • Communautés des fêtes
      • Suite de l’entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
      • Carte postale : Italie – La scherma
  • Éruption des fêtes sauvages
    • La fête prend le terrain : un jeu avec les autorités
      • Carnaval de quartier
      • Une Boum de gangsters
      • Compétition d’apéros géants 2009-2011
    • La fête garde la main : s’affirmer, revendiquer, s’imposer
      • Free Parties : génération 2000
      • Les karnavals des sons
      • Carnaval de la Plaine
    • La finalité des fêtes
      • Street parties : Making party a threat again…
      • Carte postale : La Guelaguetza d’Oaxaca
  • Le sens de la fête
    • Fêtes et créations d’imaginaires
      • L’imaginaire des nuits du 4 août 2011
      • Vive les sauvages !
    • Quand l’imaginaire devient tradition, coutume, culture
    • Jusqu’au bout de la fête
      • Le Banquet des nuits du 4 août
      • Ivresse, transe et Petassou

Trajectoire II - 2003-2007 – Emportés par la fougue

  • Trouver une occupation
  • Un Centre Social Ouvert et Autogéré
  • CPE, le temps des bandes
  • Les points sur la police II

La folle du logis

  • Prélude
  • Retour vers le futur
  • Mythes de luttes
    • Entretien de Wu Ming 5 et Wu Ming 2
    • Intervento
  • Figures, héros et traditions
    • Lettre à V pour Vendetta
    • Survivance
    • Entretien avec La Talvera
  • Fictions politiques

Habiter

  • Les 400 couverts à Grenoble
    • La traverse squattée des 400 couverts
    • Le parc Paul Mistral
  • Vivre en collectif sur le plateau de Millevaches
  • Nouvelles frontières
  • Matériaux pour habiter

Trajectoires III - 2007-2010 – C’est la guerre

  • la France d’après… on la brûle
  • Serial sabotages
  • Fatal bouzouki
  • La caisse qu’on attend…
  • Les points sur la police III

Hackers vaillants

  • Lost in ze web
  • Ordre de numérisation générale
  • pRiNT : des ateliers d’informatique squattés
  • Et avec ça, qu’est-ce qu’on vous sert ?
    • imc-tech
    • Serveurs autonomes
  • Logiciels libres
    • Nocturnes des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre
    • Logiciels : de l’adaptation à la production
    • Et si le monde du logiciel libre prenait parti ?
  • Hackers et offensive
    • Entretien avec sub
    • Pratiques informatiques « offensives »
  • Post scriptum
  • Chronologie

Intervenir

  • Prélude
  • Le marteau sans maître
  • Énonciation et diffusion
  • Féminismes, autonomies, intersections
  • Ancrages - Les Tanneries, 1997 - 20..
  • Rencontres avec le monde ouvrier
    • Une hypothèse
    • Aux portes de l’usine
  • Mouvements sociaux
  • Composition - indignados et mouvement du 15M

Trajectoires IV - 2010-2013

  • Charivaris contre la vidéosurveillance
  • Hôtel-refuge
  • A sarà düra Voyage en Val Susa
    • Récit de voyageurs lost in translation…
    • La vallée qui résiste
  • Les points sur la police IV
  • Une brèche ouverte à Notre-Dame-des-Landes

S’organiser sans organisations

  • Extrait d’une lettre de G., ex-syndicaliste
  • Solidarités radicales en galère de logement
  • Une histoire du réseau Sans-Titre
  • Un coup à plusieurs bandes
  • Les assemblées du plateau de Millevaches
  • S’organiser dans les mouvements barcelonais

APPARITION DES HACKERSPACES

Ton histoire dans les hackerspaces, ça a commencé quand et comment ?
sub : Au départ, on était quelques personnes à bricoler dans notre coin sur des ordinateurs, de l’électronique, et on a eu envie de le faire à plusieurs, dans la même pièce… La première question, c’était de s’organiser pour avoir un lieu commun. Alors bêtement, comme les personnes avec qui on montait ça fréquentaient les squats, on s’est installé dans un squat qui existait. Là il y avait un espace à disposition, et puis la culture squat porte aussi la volonté de se réapproprier les technologies. Et il y a toujours deux ou trois électriciens, ou électroniciens, qui bricolent… et voilà, l’idée était la bienvenue. Donc on s’est mis dans une chambre du squat avec quatre ordis, un serveur, trois fers à souder, un oscilloscope… et c’était parti.
C’était au moment du début du mouvement des hackerspaces en France ? Comment ça a commencé ?
sub : En fait, ça c’est fait par le biais d’espaces qui existaient déjà. En France par exemple il y a eu pRiNT, au début des années 2000, qui s’est fait connaître parce qu’ils avaient un site web qui constituait une sorte de vitrine, où ils présentaient ce qu’ils faisaient. De mon côté je connaissais le Chaos Computer Club de Berlin, qui fédérait pas mal de choses autour du hacking ; et puis ces « Réunions 2600 », qui étaient des rendez-vous mensuels, où des passionnés des machines pouvaient se retrouver physiquement pour partager leurs activités, mais c’était très spécialisé. Et puis il existait d’autres hackerspaces, en Hollande par exemple, dont on avait des échos. L’idée du hackerspace telle qu’elle est apparue en France, disons autour de 2007-2008, c’est un peu différent de ce qu’il y avait avant. C’était d’ouvrir un espace où les hackers ne seraient plus uniquement entre eux, mais où on peut interagir et discuter, quand bien même on ne connaîtrait rien. Sortir d’une espèce d’élitisme individuel. On habitait la même ville, on se rencontrait, soit dans les Linux User Groups, soit dans des 2600, soit autour de la scène punk… Et c’est de ce désir-là que c’est parti, du désir de se voir. On faisait du développement d’outils informatiques depuis très longtemps en communiquant par Internet, sans jamais avoir à se voir. Là l’envie est plutôt le fait de se rencontrer physiquement, de se dire qu’il y a des pratiques à mettre en place localement, avec les personnes qui sont là.
Donc en peu de temps, plusieurs hackerspaces, plusieurs espaces ouverts par des gens qui avaient des connaissances en informatique, se créent dans différentes villes ?
sub : En 2007-2008, il y en a eu trois ou quatre. On voyait que ça commençait à bien fonctionner ailleurs, et on s’est dit pourquoi pas ici. C’était vraiment l’émergence d’un phénomène politique. À force de se voir dans les manifestations, à force de se voir dans des campements, ou alors dans les luttes contre les lois DADSVI ou LCEN [voir chronologie] qui venaient réglementer et restreindre l’usage d’Internet, il y a eu comme un soudain intérêt à se retrouver et à s’organiser au-delà de la pure technique. L’idée d’élaborer un discours, une pensée, et de pouvoir la transmettre. La présence politique, à un moment, se pose dans le fait d’avoir justement cette ouverture. Pendant 10 ou 20 ans, les gars se disaient : on va réussir à agir, à s’organiser, en ayant des modes de fonctionnement marqués par un souci politique (des chartes éthiques, des modèles organisationnels basés sur la contribution, tout ça), mais dans un monde parallèle. Ça, on pourrait dire que c’est le « milieu » des hackers, d’Internet, qui vivent et qui s’organisent sur les plateformes en ligne ; avec l’idée d’ouverture que contient le hackerspace, on sort de derrière nos écrans, et on cherche à rencontrer des gens. Y compris si c’est pour les emmener derrière l’écran à nouveau, pour leur montrer ce qu’on fait.
Mais pourquoi à ce moment-là ? Ça a un lien avec la multiplication des lois dont tu parlais à l’instant, ou avec l’idée de rencontrer de nouvelles personnes avec qui partager vos activités ?
sub : Je crois qu’il y avait surtout l’envie de faire connaître nos thématiques. Par exemple, une démarche récurrente, c’était de démonter le terme de hacker, parce que dans les médias c’était toujours présenté de façon criminelle ; ou encore, de présenter le logiciel libre, d’expliquer ce que ça défend, et comment on fonctionne collectivement là-dedans. Une des priorités, c’est qu’on veut transmettre un certain rapport aux technologies. Et puis toujours cette volonté d’écrire de la documentation, qu’elle soit accessible, qu’elle soit utilisable, qu’elle soit même détournée. On veut ouvrir ce qu’on fait, et le partager, dans nos activités comme dans nos modes d’organisation.

UN HACKERSPACE PARMI D’AUTRES

Dans votre hackerspace, vous bricoliez quoi ?
sub : Du développement sur Internet, étudier les protocoles, chercher des failles de sécurité dans les réseaux. Et faire la même chose dans les systèmes, ou sur des objets électroniques de la vie quotidienne. Et en même temps, on proposait des trucs un peu sensationnels, pour avoir une approche rigolote, et montrer en passant que c’est assez facile de bricoler des choses. Ce qui est venu très vite par exemple, c’est la RepRap, une machine qui était à la mode à ce moment-là, dont l’idée était de pouvoir s’auto-répliquer, qui est capable de fabriquer les pièces qui la composent. C’est une imprimante 3D qu’on peut fabriquer soi-même, et programmer avec du code libre. Ou la Table Tangible.
C’est quoi la Table Tangible ?
sub : C’est un instrument de musique home-made, fait avec une caméra sous une plaque de plexiglas, une caméra de Playstation 3, et un vidéoprojecteur. En mettant tes mains dessus, ça fait une interface tactile – alors qu’en fait c’est pas du tout tactile, c’est tangible, tu interagis avec des ondes – et avec ça, tu fais de la musique. Tu poses des objets dessus, ça fait une reconnaissance de forme. Après, tu fais une boîte à rythme, ou des trucs comme ça. C’est sensationnel, parce que c’est un outil de musique fabriqué de A à Z. Je pense aussi au truc de Minority Report : un type qui avait fait des capteurs qui s’installaient au bout des doigts, et qui pouvait utiliser Google Maps en bougeant ses mains sur un vidéoprojecteur avec une immense image. Il bougeait les doigts, et ça bougeait la carte en même temps. Il faisait des zooms, il faisait défiler des pages, tout ça avec ses capteurs.
Dit comme ça, j’avoue que ça m’effraie un peu ton truc. Ça me fait penser à un rapport totalement décomplexé à la technologie, y compris dans ce qu’elle a de pire. Par exemple, Google Maps pour moi c’est plutôt un projet de cartographie totale, avec ce que ça comporte de surveillance et de fichage en tous genres, tout ça sous le couvert d’une application « fun » et facile d’accès… Est-ce qu’il n’y avait pas au moins une distance critique par rapport à tout ça ?
sub : C’est vraiment une partie du problème, dans toute cette histoire du hacking, du logiciel libre et compagnie. C’est qu’il n’y a pas une ligne politique claire, et même, tu trouves souvent une vraie méfiance dès que t’abordes des questions de ce genre. J’ai essayé plusieurs fois, dans des discussions, ou sur des listes de diffusion, de lancer quelques sujets politiques ou éthiques, mais j’ai plutôt l’impression de m’être heurté à un mur d’incompréhension. Souvent, on m’a répondu que j’étais hors sujet. Dans les hackerspaces, beaucoup de choses sont possibles, mais seulement à partir du moment où tu ne fixes pas clairement de plan politique.
Mmh… En fait ce qui réunit les gens, si on voulait résumer, c’est plutôt une sorte de passion partagée pour la compréhension des systèmes et des technologies ?
sub : C’est sûr que c’est le ciment principal. Et c’est à cet endroit-là, d’ailleurs, qu’on voit le pire des relations de milieu, de frime, de concurrence, liées à quelque chose comme une culture de la performance. Mais justement pour moi, un des trucs notables de cette période, c’est que ça a commencé à bouger. Certains ont eu envie de partager leurs connaissances, leurs expertises, dans l’idée que les gens puissent se rendre compte de ce que c’est que ces nouvelles technologies.
Et vous essayiez quand même de porter une dimension politique ?
sub : Localement, c’est clair qu’on était contre la surveillance, contre notre asservissement dans la vie courante, pour la liberté… enfin c’était clairement lié à l’usage qui est fait des technologies par l’État. La surveillance, le filtrage, le contrôle. Et dans les technologies, ça va très vite, le contrôle. Cela dit au niveau international, comme je te disais, le mouvement est assez confus. Ce qui est défendu en Europe, c’est… pour une liberté totale d’usage et d’expérimentation des technologies. Et s’amuser avec ça. S’amuser, et créer, et tester. Mais ça ne va pas plus loin. Ensuite, localement, ou individuellement, y’a pas mal de courants. Des gens qui sont des professionnels de la sécurité informatique, des pros de la performance artistique, d’autres qui font ça juste parce que ça les fait triper. Et d’autres encore comme le Chaos Computer Club, qui sont clairement dans une démarche politique. Par exemple, sur l’usage des empreintes, ils ont démontré que les empreintes digitales, c’est quelque chose qui peut être falsifié, et facilement. Ils ont récupéré l’empreinte de quelqu’un de politiquement connu, et ils sont allés la mettre à un endroit où a été commis un délit. Voilà, y’a des personnes qui ont porté ça, nous on était plus proches de cette tendance-là.
D’accord. Mais dès le départ, il y a quand même une ambiguïté, une confusion, par rapport aux technologies et à leur usage, non ?
sub : Je crois qu’il y a pas mal d’ambiguïté, oui. On s’inscrivait dans un espace, même si c’était un squat, où il y avait aussi un manque de clarté politique. Et cette clarté, on ne pouvait ni la porter, ni l’exiger. À ce moment-là, les personnes qu’il y avait autour de nous, c’étaient des artistes, et des personnes qui ne comprenaient pas grand-chose aux technologies. Or là facilement, avec ce qu’on propose, il se fait de l’art et de la performance, et les gens sont accrochés… Donc ça, les trucs à la Minority Report, oui, ça fait partie de ce qui se faisait. Mais on a aussi bossé sur les systèmes sans fil, les RFID, et ce qui se faisait à ce moment-là. Parmi les thématiques sur lesquelles on travaillait, certaines étaient aussi traitées au Chaos Computer Club, dans une perspective militante. Tous les ans, à Berlin, il y a cette réunion internationale de hackers, le Chaos Communication Congress, avec des conférences parfois très pointues, dans lesquelles des gens présentent comment ils ont réussi à maîtriser tel ou tel système, tel ou tel objet électronique. Par exemple, comment contourner un logiciel de cryptage sous Mac, ou comment fonctionne un réseau de téléphonie mobile… On reprenait ces thématiques et on essayait de faire quelque chose localement avec. Je me rappelle même que très tôt, on a fait les Hackerspace Nights. C’était un moment où on synchronisait tous les hackerspaces qui existaient dans le monde, on faisait un appel à travail commun, et le même soir, à la même heure, partout dans le monde, on se connectait à un canal de discussion. Là on faisait une session de vingt-quatre heures d’affilée, où tout le monde bossait sur trois ou quatre trucs différents, et en même temps on en discutait par Internet. On essayait d’interconnecter les espaces physiques comme ça. Je crois que la première Hackerspace Night a eu lieu en 2008.
Vous faisiez comment pour vous retrouver ? Est-ce qu’il y avait par exemple une réunion hebdomadaire, ou un système de communications pour inviter les gens ?
sub : Au tout début, ça s’est fait individuellement, chacun a commencé à faire venir deux ou trois personnes. On s’est vite retrouvé à dix-quinze. Et là où on était, c’était ce squat avec d’autres personnes, donc, quand on a fait des réunions, on s’est demandé comment les impliquer. Le moment clé, au tout début, je pense que ça a été la première fête du hackerspace. Comme chaque personne était déjà dans un réseau, ou du logiciel libre, ou des milieux militants, ou du développement web, ou de l’électronique, ou de la sécurité informatique, et tout ça a fini par converger. Alors à un moment, on fige en disant qu’on va faire une fête, et plein de gens viennent, parce qu’il y avait l’envie de trouver des façons de se rencontrer, mais que personne n’avait encore sauté le pas et proposé quelque chose. Ça donne, au début, trente personnes dans une baraque à frites, et après, la deuxième fête, y’a plus de mille personnes, et 300 personnes dans une conférence.
J’imagine que certaines connaissances peuvent passer entre les gens qui ont déjà cette fibre ? Un mec qui va bien connaître les systèmes de téléphonie mobile, un autre qui va bien connaître telle puce, ou tel langage de programmation, là y’a une complémentarité qui peut se faire, pour aller vers une puissance collective ?
sub : Oui oui. C’est clair. Dès qu’on commence à se rencontrer, y’a mille projets qui naissent de tout ça. J’ai appris plein de trucs. Et vu qu’on était nombreux, et issus de beaucoup de domaines différents, ça allait parfois très vite. On a fait de la transmission de SMS avec des cartes faites maison, de la lecture-écriture sur des puces RFID, du traitement d’image pour la cartographie numérique, par exemple. Il y a eu aussi un travail sur l’accès à Internet, qu’on a cherché à rendre plus sécurisé et moins surveillé. Il faut mettre ça en lien avec le monde du logiciel libre, et des fournisseurs d’accès à Internet [1] associatifs : ce qu’on faisait dans le hackerspace, ça rentrait en écho avec des dynamiques qui existaient déjà chez des gens comme FDN par exemple, dans le cas de l’accès à Internet. FDN, c’est French Data Network, une association créée en 1992, qui a obtenu l’agrément pour être fournisseur d’accès à Internet. FDN a lutté contre la loi HADOPI et ils ont soutenu les révoltés du printemps arabe, quand les gouvernants ont bloqué l’accès à Internet. D’ailleurs, à ce propos (mais c’est pas en lien direct avec les hackerspaces), de plus en plus de collectifs, aujourd’hui, qui tentent de monter leurs propres fournisseurs d’accès, pour plus être dépendants d’Orange, Free et compagnie. Ça c’est une dynamique intéressante, qui se développe en ce moment.
Tu as d’autres exemples d’interventions, ou d’actions qui sont issues des hackerspaces ?
sub : Il y a eu plein de choses différentes, et toutes ne sont pas issues directement de là ; c’était plutôt des idées qui circulaient, comme, par exemple, le routeur Hadopi. Ça, c’était disons… une première attaque sur le plan de la Loi. Il cassait tous les WiFi qu’il pouvait, avec des techniques efficaces : je me pose là, et puis dans les 10 minutes y’a le WiFi – enfin c’est aussi parce qu’à cette époque, les systèmes étaient faciles à cracker. Il s’est appelé comme ça à cause de la loi HADOPI. C’est une loi qui réprime le téléchargement illégal, en se basant sur l’identification du point de connexion utilisé pour commettre ce délit. Donc en cassant le WiFi, non seulement tu utilises un point de connexion qui n’est pas relié à toi, mais en plus, en rendant ça public, tu démontres que n’importe qui peut casser du WiFi, et que donc la personne qui est liée à ce point de connexion n’est pas forcément l’auteur des téléchargements. Enfin voilà l’idée. Y’a eu aussi l’histoire des caddies, à Paris. Des caddies qui ne pouvaient pas sortir des supermarchés, parce qu’ils étaient branchés sur une certaine fréquence. Dès que le caddie était trop éloigné du supermarché, les roues se bloquaient. Ils ont réussi à reproduire cette fréquence avec un téléphone portable, et du coup ça permettait de débloquer tous les caddies avec une sonnerie de portable. C’est un peu basique, mais voilà, c’est une petite bricole qui a bien marché. Et puis toute cette mode des clés USB dans les murs. Des gens qui se sont mis à planquer des clés USB, fondues dans le ciment d’un mur, de manière à ce que seule la prise de connexion dépasse, pour faire circuler toutes sortes d’infos. Y’a une carte qui avait été faite [2]. Quoi encore ? Les actions par rapport à la vidéosurveillance, y’en a eu quelques-unes aussi. Y’a plusieurs plans des caméras de vidéosurveillance, qui ont été établies et mises en ligne.
Ensuite, il faut voir que plein de gens n’ont pas envie de s’exposer, et parfois pour des bonnes raisons. Donc ils ne te diront jamais ce qu’ils font. Mais en même temps, les hackerspaces ont produit pleins de rencontres, de frottements, à travers tout ce qui se faisait, qui permettaient d’obtenir certaines informations. Et c’est toujours bon d’aller un peu à la pêche. D’où l’idée de détourner, et de réutiliser. Ça va de la borne magnétique pour passer ta carte pour prendre le métro, aux caméras, au vélo à Amsterdam pour circuler dans la ville, au super-truc biométrique. Je vais te donner un exemple typique : les vélib’ à Paris, ils sont tous répertoriés, ils sont tous pucés. Les bornes, c’est pas compliqué, c’est de l’ethernet qu’il y a dedans. Dans toutes les bornes y’a deux câbles ethernet (y’a une redondance complète sur l’ensemble du réseau), une carte réseau, et un émetteur GPRS (c’est le mode « data » du GSM), qui permet de se connecter avec le central. Le central lui est connecté à Internet, donc il peut regarder les statistiques des vélos, savoir quelle borne est disponible ou pas, quel vélo est disponible ou pas. Quand t’appelles, par téléphone, ces gens-là peuvent te débloquer un vélo. Bref la borne, c’est un ordinateur, relié au réseau, avec un électro-aimant qui peut être débloqué… Quand tu comprends comment fonctionne un réseau comme ça, que t’as un peu des compétences là-dedans, ben tu peux vite imaginer plein de choses ! Avec l’émergence des distributeurs de banque, c’est pareil. Enfin, ceux-là, ils ne sont pas accessibles par le réseau, à part… enfin il faut pas parler de banque ! Ça arrive que ce soit par les gens qui bossent sur l’entretien des réseaux que l’information circule, et parfois, t’en apprends des belles. Ensuite, ce que t’en fais, ben… c’est toi qui vois. Et ce qu’il y a eu d’intéressant dans les hackerspaces, c’est justement que plein d’informations dans ce genre ont pu circuler, parce que les gens se rencontraient, et avaient une visibilité, et aussi organisaient des actions, des événements. Il y a eu tout un jeu avec cette frontière, entre le côté vitrine, et le côté rencontres et possibilités d’actions ensemble, qui était assez intéressant.
Est-ce que tous les hackerspaces fonctionnaient comme le vôtre ?
sub : Oui, tous ceux que je fréquentais, à cette époque-là en tout cas. Mais ce qu’il faut voir aussi, c’est que d’utiliser le mot « hacker », et dire « milieu hacker », et « je fais partie de tout ça », c’est très compliqué. Justement parce que ces mots ont toujours été posés sur un univers très élitiste, qui disait qu’on peut pas se revendiquer hacker. Du coup, c’est très délicat de se dire qui c’est, qu’est-ce que c’est. Si j’organise une rencontre hacker, personne va venir. Ça va pas fonctionner. Alors on organise une conférence de sécurité, et les gens qui viennent, c’est des professionnels de la sécurité informatique et quelques amateurs. Et quand on organise un truc d’art, c’est des gens qui font de l’art. Et quand on organise un truc sur le logiciel libre, ben c’est les libristes. Et là d’un coup, avec les hackerspaces, ben… voilà le mouvement hacker, c’est un peu tout ça. C’est tous ceux qui passent dix heures par jour devant leur ordinateur, et qui adorent ça, et qui veulent en faire quelque chose de collectif. Mais c’est aussi des gens qui vont sur la scène punk ou rock, ou qui font des performances artistiques, ou qui vont militer à chaque manif sur la liberté de circulation, ou le mouvement social, ou dès qu’on parle de surveillance ou de sécurité intérieure, ils sont là à chaque fois. On appartient à cette mouvance-là, mais comment on agrège autour de ça ? C’était pas si évident. Créer le Chaos Computer Club en France, ça a déjà été fait, et ça a été un gros piège, et depuis ce moment-là, ça a toujours été très délicat. À cette époque, à la fin des années 80, y’a un type qui a beaucoup poussé pour la création d’un Chaos Computer Club France. Il avait commencé à réunir du monde, à rencontrer des gens et tout ça ; mais en fait ce gars – il s’appelait Jean-Bernard Condat, tu peux trouver sur Wikipedia – ce gars c’était un flic infiltré. Il a créé ce truc exprès pour attirer du monde, et voir ce qui se tramait dans le monde du hacking, et essayer d’identifier des gens… D’ailleurs quand il y a eu des arrestations par la suite, certains n’ont pas traîné pour faire le lien avec cette espèce de coup monté. Et ça a flingué le mouvement pour plusieurs années.
C’est resté comme un traumatisme ?
sub : Pour nous, pour la génération des années 2000, c’est pas un traumatisme. C’est plutôt une sorte d’héritage pourri. C’est-à-dire que ça aurait dû être fait à ce moment-là, mais comme ça c’est pas fait, on hérite… d’une absence. On hérite d’un espace vacant, et comme cet espace c’est un champ de ruines, ben il faut pas aller construire sur ces ruines-là, il faut trouver autre chose, ailleurs. On a trouvé une autre façon de se rencontrer. Les « 2600 », c’était se voir et parler de tout, on délirait sur plein de choses. Mais le problème c’est que c’était une fois par mois, et y’a rien qui était fait. Même si des gens expérimentaient quelques trucs ensemble, ou partageaient quelques connaissances, c’étaient des techniciens, qui se voyaient, qui parlaient technique, musique, ou politique. Là, en l’occurrence, on s’est dit : « Qu’est-ce qu’on va faire ensemble ? » Pas simplement se voir, mais se rencontrer pour s’organiser. Donc on s’organise à partir de ce qu’on sait déjà faire, mais ça va bien plus loin. Et c’est au cœur, aussi, d’une certaine conjoncture, d’un contexte politique où la sécurité monte en flèche sur les questions… disons, des libertés numériques.

ÉMULATIONS

Donc il y a bien un contexte politique qui a fait émerger des problématiques qui n’existaient pas auparavant ? Par exemple, La Quadrature Du Net (LQDN, « organisation de défense des droits et libertés des citoyens sur Internet » fondée en 2008), qui prennent des formes associatives, collectives, qui pouvaient aussi bien faire du lobbying, ou de l’action citoyenne, poser des questions au pouvoir vis-à-vis des lois qui se développaient… ça c’est antérieur aux hackerspaces ? Ou c’est plutôt contemporain ?
sub : Pour moi, tout est assez contemporain. Quand FDN commence à ressortir de l’ombre, ce qui se fait suite à une conférence aux Rencontres Mondiales du Logiciel Libre, ou quand La Quadrature du Net se crée aussi, je crois que c’est 2008 ou 2009… Enfin tout ça résonne. Et quand LQDN rediffuse les débats sur la loi HADOPI sur son site web, on le regarde au hackerspace entre nous.
Alors certains se passionnent pour des pétitions et des manifs, d’autres pour des formes d’actions plus radicales ?
sub : Y’a ceux qui vont aller faire du lobbying au Parlement pour parler de la Quadrature du Net, ceux qui vont aller casser des caméras de surveillance, d’autres qui vont participer aux manifestations anti-HADOPI, y’en a qui vont porter un discours par rapport à tout ça. Et c’est des choses qui ont bougé. À l’époque du CPE par exemple, il y avait une affiche de comparaison entre les deux mouvements. C’était fait par des gens contre DADVSI, enfin des informaticiens, des libristes. Ça disait : regardez, DADVSI, 150.000 personnes à la manif, une grande pétition, beaucoup de discours, beaucoup d’usage de la démocratie ; et de l’autre côté, CPE, violence, casse, occupations sauvages… D’un côté : DADVSI acceptée, d’un autre côté : CPE retiré. Ce constat a été fait, et ça a fait débat. Le moment où le milieu libriste, informaticien, hacker, tout ce qu’on veut, commence à sortir de l’ombre, et à avoir une parole politique, c’est le moment où y’a les pires des lois, enfin tout l’enchaînement de lois et de mesures sur le contrôle et la répression, sur l’Internet, sur la sécurité intérieure, qu’il y a eu depuis les années 2000. À un moment, c’est très clairement énoncé, il y a cette décision qu’à chaque fois qu’ils vont toucher à Internet, à chaque fois, il faut qu’on aille les mordre. Qu’ils sentent que s’ils vont mettre leur doigt là-dedans, ils vont se faire attaquer. Un truc qui a beaucoup touché ce milieu par exemple, c’est les droits d’auteur, la liberté d’information, les libertés individuelles. D’un autre côté, le milieu hacker ne s’est jamais constitué en force politique pour défendre tout ça. Y’avait toujours une sorte de fond anarchisant, et du coup ça s’est jamais constitué comme une force politique lisible. C’était toujours des contributions, et des va-et-vient, dans différents mouvements, et ça fait que dans les hackerspaces, on était à la fois sur la loi HADOPI, la loi DADVSI, et à la fois sur le CPE, la LOPSI, les luttes en cours. Le milieu hackerspace c’est cette bête bizarre qui n’a jamais été une force politique visible, et lisible, mais qui partage cette idée que les formes d’action traditionnelles sont insuffisantes.
Ça c’est une position que tu dirais assez partagée ?
sub : Au sein des hackers, certainement. Et y’a tout un pan des hackerspaces européens qui nous a rejoint à plusieurs occasions dans ces luttes.

DU HACKING À LA CYBERNÉTIQUE

Maintenant, tu t’es éloigné du hackerspace où tu étais, tu es passé à autre chose. Mais est-ce que t’as encore des billes sur ce qui se passe aujourd’hui ? Cette émulation dont on parlait avant, elle est devenue quoi ?
sub : Aujourd’hui ça fonctionne très bien, ça continue dans les mêmes choses. Il doit y avoir cinq ou six hackerspaces en France. Certains sont plus spécialisés, je pense à La Paillasse à Paris, qui s’est spécialisée sur de la bio, de la chimie, etc. Ça s’ouvre à d’autres sciences, d’autres domaines. Mais ça rassemble toujours autant de personnes, et même plus. Au dernier festival des gros hackerspaces français, qui sont le /tmp/lab et le Tetalab, y’avait beaucoup de monde. D’un côté y’avait une conférence technique sur la sécurité, à Paris, avec des gens pointus, c’était impressionnant, et de l’autre côté une grande fête, au Tetalab, où y’a eu des conférences sur des sujets politiques intéressants. Sur Wikileaks, sur la photographie, sur l’Internet associatif…
J’ai eu aussi l’impression, en recherchant des infos sur tout ça, qu’il y avait une émulation assez importante ces dernières années, toute une vague d’engouement pour la révolution numérique. Un mouvement très technophile, avec des sites Internet, ou des articles, et un flou politique incroyable. Je pense notamment à ce texte, dans la revue Usbek&Rica et sur owni.info, qui dit haut et fort : « La révolution va triompher parce qu’elle sera A-Politique. » Dans leur dossier, ils se ressaisissent d’une prétendue éthique du hacker, qui serait un gentil bidouilleur qui va sauver le monde, en mettant, je sais plus, Jésus-Christ en premier hacker de l’histoire. Tu me diras, c’est aussi des éléments qui montrent la diversité de tout ça…
sub : On retombe toujours sur cette confusion, cette ambivalence. Un exemple intéressant là-dessus, c’est celui du Parti Pirate. C’est intéressant parce que ça fige certaines idées, certains discours. D’un côté, ils ont cette prétention à dire « on ne rigole plus, on devient un vrai parti politique ». Et du coup, la grande politique s’abat sur nous, avec ce discours débile et tordu, qui voudrait que nos pratiques soient transposées dans le monde politique. « Il ne faut pas que critiquer, il faut agir, il faut du travail collectif. ». Et leur démarche met en forme une série de valeurs, censées être issues du milieu hacker, et qui se veulent des valeurs universelles. Et c’est aussi bien ce que peuvent dire des gens comme LQDN. « Nous, ce qu’on défend, ce sont des valeurs universelles. » C’est la liberté de l’information, c’est l’Internet neutre, c’est l’accès au réseau… Cette manière de réfugier derrière des valeurs soi-disant universelles, ça vient sabrer toute portée politique. De toute façon, les hackers, les libristes, ne portent pas du tout, même entre eux, la même culture politique. Dans le milieu hacker, il y a eu une vague d’anarchistes, une vague de libertariens, et d’autres. Quand on a essayé de faire converger ces trucs-là, ça a toujours donné de mauvais mélanges. Le Parti Pirate, ils se sont trompés, Usbek&Rica, ils délirent sur des trucs aberrants, et personne ne les suit vraiment. Ceux qui les suivent, c’est des gens qui trouvent là-dedans la correspondance avec l’hygiène politique actuelle, mais de l’ordre de la moyenne, de l’implicite. Ça correspond si bien, ce délire de la révolution numérique – les soulèvements sans morts et par Internet, ce truc d’expérimentations d’une nouvelle humanité – à une sorte d’éthique citoyenne qui est déjà présente, que ça peut vraiment plaire à pas mal de gens… mais sans aucune conséquence en fait.
Pour ma part, même quand je me dis « ils parlent de choses intéressantes », j’ai toujours l’impression qu’il y a derrière ce paradigme vraiment… enfin, ils préparent l’avenir de la cybernétique ! Appropriation de la technologie par tous, apolitisme des nouvelles technologies… j’ai le sentiment d’une compilation de choses en rapport avec la pure cybernétique, avec un monde dans lequel tout serait contrôlé, régulé, connu, dont le seul problème serait de celui de l’accès aux informations.
sub : Oui, oui. D’ailleurs si j’ai été aux rencontres estivales à Pado Loup en 2012 [cf. chronologie], et si j’ai participé à des discussions récemment, c’était pour ça. Pour essayer de comprendre où se situe le paradigme central, et ce qu’il dit. Et pour moi, clairement, Pado Loup, « Estive Numérique », le paradigme central c’est celui de la cybernétique. C’est cette idée d’une société autorégulée, dans laquelle on aurait capté et mesuré un ordre naturel, qui permettrait « enfin » une gouvernementalité horizontale, sans la guerre, sans le fascisme, etc. Et ça, associé à des propositions qui disent juste : « ce qu’on fait, c’est des alternatives », mais sans questionner vraiment le fonds commun. Donc oui, j’ai l’impression que l’approche cybernétique c’est vraiment un impensé dans ce milieu, un implicite qui recouvre presque tout. D’un côté on a une emprise importante sur la technologie, une maîtrise, et d’un autre, on n’a jamais désigné cette notion comme étant centrale. Même si ça commence à devenir présent, avec le temps. Par exemple usinette, qui est un « fablab [3] », lorsqu’ils ont commencé à construire leurs machines, ils se sont dits : « mais, l’auto­réplication, l’autorégulation, il faut y comprendre plus ! » Alors ils ont commencé à lire Foerster, ce théoricien allemand qui fut justement l’initiateur de ce qui s’est appelé le « deuxième mouvement cybernétique », dans les années 70. Donc l’approche elle se fait à partir de bases qui ont été jetées dans les années 70, et qui fonctionnent aujourd’hui… mais ce sont des bases profondément inquiétantes. Elles sont prises telles quelles, et elles sont frappantes parce que les analyses qu’elles produisent fonctionnent très bien. Normal, c’est ces analyses qui ont nourri l’expansion du modèle cybernétique.
Un peu comme s’ils découvraient après coup les bases de ce sur quoi ils travaillent ?
sub : Oui ! Mais ça leur donne l’impression d’avoir encore plus raison ! C’est pour ça qu’un enjeu important aujourd’hui, ce serait de comprendre l’incidence de la cybernétique au sein du milieu hacker. Et d’en faire une lecture, et une critique. Parce que d’un côté il y a tous ceux qui se battent contre le contrôle, et qui font des choses très intéressantes là-dessus, et de l’autre, on ne peut pas fermer les yeux sur les liens qu’il y a entre la cybernétique et le contrôle. Les ateliers DIY et écolos, tels qu’ils existent dans ces rencontres, ça a clairement à voir avec la cybernétique. Et dans cette critique, qui doit être faite, la question délicate c’est où arriver, d’où partir. Je crois qu’il y aura des problèmes à se poser dans les temps qui viennent, sans quoi il y a ce dogme implicite qui va prendre le dessus. D’un côté on aura ceux qui se raccordent à la cybernétique en disant : « oui, on veut une écologie, des systèmes autorégulés, des rétroactions, des systèmes de gouvernement des hommes qui soient autorégulés et stables également… » Et d’un autre côté ceux qui pensent que tout ça c’est le contrôle absolu, c’est le pire des fascismes, c’est la normalisation des êtres, que c’est tout ce qu’on veut pas. Détourner les usages, c’est pour détourner la norme. Casser le contrôle, c’est pour ne pas être contrôlé. Ouvrir des espaces, de nouveaux champs, c’est pour dépasser ce qui existe… et donc la question, c’est comment on crée ce frottement-là. Pour l’instant c’est un peu accepté unanimement, et c’est dans l’air, politiquement, comme l’écologie… Et y’a aucun recul qui est pris sur tout ça. Dans leurs ateliers DIY, ils mettent des capteurs dans des jardins, ils font des systèmes d’auto-arrosage… ce que ça évoque c’est que les machines peuvent faire tout ça, et pourquoi pas sortir les poules, et les rentrer, et faire pousser nos légumes… et que c’est ça qu’on veut. Et c’est ça qui est fait, et ça qui est présenté, sans que les fondements soient questionnés. On peut pas en rester là.

[1] Fournisseur d’accès à Internet (FAI) : prestataire qui nous met en relation avec Internet, en nous permettant de nous connecter à son réseau. De nos jours, les FAI sont généralement commerciaux ou associatifs.

[2] http://deaddrops.com/dead-drops/db-map

[3] Sorte de hackerspace institutionnalisé.

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Cet abécédaire du Pays basque insoumis a été rédigé en vue du contre-sommet du G7 qui se tiendra en août 2019 à Biarritz. Il a été pensé comme une première rencontre avec un territoire et ses habitants. Car le Pays basque n’est ni la France au nord, ni l’Espagne au sud, ou du moins il n’est pas que l’Espagne ou la France. On s’aperçoit en l’arpentant qu’y palpite un monde autre, déroutant : le monde en interstices d’un peuple qui se bat pour l’indépendance de son territoire. Borroka, c’est la lutte, le combat, qui fait d’Euskadi une terre en partie étrangère à nos grilles d’analyse françaises. C’est de ce peuple insoumis et de sa culture dont il sera question dans cet ouvrage.
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