Constellations

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Odyssée post-CPE

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Le Chœur ion du texte
présentation du texte  

Pour beaucoup d’entre nous, le mouvement contre le CPE en 2006 produisit un tel tumulte qu’il fut à lui seul l’occasion de multiples « désertions ». Il y a d’abord ce sentiment, de plus en plus puissant, qu’on ne pourra plus jamais recommencer comme avant, reprendre les cours, attendre les examens, chercher du boulot, etc. Tous les mouvements sociaux n’ont pas la force d’imposer ce sentiment-là à une telle échelle. Les occupations, les discussions des nuits entières autour de braseros, la découverte d’une conflictualité ouverte, et plus encore, ce moment où l’on réalise ensemble qu’il y a d’autres manières de vivre, d’autres manières de lutter. Viennent alors les « et si », essais transformés ou palabres noctambules, on se conjugue au conditionnel, puis au futur… On jette nos vies dans ce bouillonnement, enfin « béants aux choses du monde », on avale à pleines dents des bouchées d’inconnu, en regardant se lézarder l’image glacée de notre avenir. Mais après ? Continuer le début ? Finalement c’est là que se prend la décision et que renaît la tension avec ce que l’on peut nommer « la normale ». On a ouvert des squats, on est parti vivre à plusieurs, on a continué à lutter, mais sans l’évidence d’un mouvement massif. La recherche permanente commence là, à la tombée de cette évidence, et à vrai dire, elle ne s’arrête pas. David, du CPE aux vergers basques, passe par ces instants d’explosion, les traverse en en sortant bouleversé, en quête. Ce n’est que lorsqu’on cesse de chercher qu’il n’y a plus rien à dire… Entretien.

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Désertion

  • Incipit vita nova
  • Odyssée post-CPE
  • Y connaissait degun, le Parisien
  • Fugues mineures en ZAD majeure
  • Mots d’absence
  • Tant qu’il y aura de l’argent

Trajectoires I - 1999-2003 – L’antimondialisation

  • Millau-Larzac : les coulisses de l’altermondialisme
  • Genova 2001 - prises de vues
  • Les points sur la police I
  • Les pieds dans la Moqata
  • OGM et société industrielle

Savoir-faire

  • Mano Verda - Les mains dans la terre
    • Les pieds dans les pommes
    • Agrisquats – ZAD et Dijon
    • Cueillettes, avec ou sans philtres
      • Récoltes sauvages
      • Correspondance autour des plantes et du soin
      • Des âmes damnées
  • Interlude
  • Devenirs constructeurs
    • Construction-barricades-occupation
      • 15 ans de barricadage de portes de squats
      • Hôtel de 4 étages VS électricien sans diplôme d’État
      • Réoccupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
    • Constructions pérennes–installations agricoles
    • Maîtrise technique
      • Chantiers collectifs
      • Apprentissage et transmission du savoir
      • Outils et fabrique
    • Gestes et imaginaire

Fêtes sauvages

  • Prélude
  • Faire la fête
    • Entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
    • Communautés des fêtes
      • Suite de l’entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
      • Carte postale : Italie – La scherma
  • Éruption des fêtes sauvages
    • La fête prend le terrain : un jeu avec les autorités
      • Carnaval de quartier
      • Une Boum de gangsters
      • Compétition d’apéros géants 2009-2011
    • La fête garde la main : s’affirmer, revendiquer, s’imposer
      • Free Parties : génération 2000
      • Les karnavals des sons
      • Carnaval de la Plaine
    • La finalité des fêtes
      • Street parties : Making party a threat again…
      • Carte postale : La Guelaguetza d’Oaxaca
  • Le sens de la fête
    • Fêtes et créations d’imaginaires
      • L’imaginaire des nuits du 4 août 2011
      • Vive les sauvages !
    • Quand l’imaginaire devient tradition, coutume, culture
    • Jusqu’au bout de la fête
      • Le Banquet des nuits du 4 août
      • Ivresse, transe et Petassou

Trajectoire II - 2003-2007 – Emportés par la fougue

  • Trouver une occupation
  • Un Centre Social Ouvert et Autogéré
  • CPE, le temps des bandes
  • Les points sur la police II

La folle du logis

  • Prélude
  • Retour vers le futur
  • Mythes de luttes
    • Entretien de Wu Ming 5 et Wu Ming 2
    • Intervento
  • Figures, héros et traditions
    • Lettre à V pour Vendetta
    • Survivance
    • Entretien avec La Talvera
  • Fictions politiques

Habiter

  • Les 400 couverts à Grenoble
    • La traverse squattée des 400 couverts
    • Le parc Paul Mistral
  • Vivre en collectif sur le plateau de Millevaches
  • Nouvelles frontières
  • Matériaux pour habiter

Trajectoires III - 2007-2010 – C’est la guerre

  • la France d’après… on la brûle
  • Serial sabotages
  • Fatal bouzouki
  • La caisse qu’on attend…
  • Les points sur la police III

Hackers vaillants

  • Lost in ze web
  • Ordre de numérisation générale
  • pRiNT : des ateliers d’informatique squattés
  • Et avec ça, qu’est-ce qu’on vous sert ?
    • imc-tech
    • Serveurs autonomes
  • Logiciels libres
    • Nocturnes des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre
    • Logiciels : de l’adaptation à la production
    • Et si le monde du logiciel libre prenait parti ?
  • Hackers et offensive
    • Entretien avec sub
    • Pratiques informatiques « offensives »
  • Post scriptum
  • Chronologie

Intervenir

  • Prélude
  • Le marteau sans maître
  • Énonciation et diffusion
  • Féminismes, autonomies, intersections
  • Ancrages - Les Tanneries, 1997 - 20..
  • Rencontres avec le monde ouvrier
    • Une hypothèse
    • Aux portes de l’usine
  • Mouvements sociaux
  • Composition - indignados et mouvement du 15M

Trajectoires IV - 2010-2013

  • Charivaris contre la vidéosurveillance
  • Hôtel-refuge
  • A sarà düra Voyage en Val Susa
    • Récit de voyageurs lost in translation…
    • La vallée qui résiste
  • Les points sur la police IV
  • Une brèche ouverte à Notre-Dame-des-Landes

S’organiser sans organisations

  • Extrait d’une lettre de G., ex-syndicaliste
  • Solidarités radicales en galère de logement
  • Une histoire du réseau Sans-Titre
  • Un coup à plusieurs bandes
  • Les assemblées du plateau de Millevaches
  • S’organiser dans les mouvements barcelonais

Si on parle de désertion, de basculement de vie, il me faut commencer par le CPE… À cette époque, j’étais à Bordeaux, j’y étais étudiant. Première année de fac, première année d’autonomie, enfin de relative autonomie, par rapport à la famille. J’attendais ça depuis longtemps, peut-être même que ça avait été ma seule motivation pour passer le bac… À Bordeaux, j’étais chaud pour faire plein de trucs, j’étais assez militant. Ce fut une année de militantisme un peu classique, des petits trucs intéressants mais, bon, globalement on ramait. On tirait des tracts, on faisait des journaux, des petits trucs la nuit, mais rien de très glorieux ou d’ambitieux. Quand je dis on, c’était un petit groupe anarchiste que j’avais rejoint. Et puis arrive le CPE. Au départ, cette réforme, elle ne m’horrifiait pas beaucoup plus que les autres, mais si y’avait du bordel, on en était ! Je me rappelle une manif où on a fini par foutre des palettes sur les rames du tram. C’était pas énorme, mais on commençait à se dire qu’il se passait quelque chose et que ça pouvait aller plus loin.
À la fin de cette manif, deux gars sont venus nous voir dans notre petit local et nous ont dit : « nous, on est du pôle “carrière sociale” – et on va bloquer notre école tel jour, est-ce que vous en êtes ? » On a dit oui. Et là c’est vraiment le moment où ça a changé, parce qu’on dormait là-bas, on faisait plein de trucs, ça commençait à bouger dans les facs et il y avait plein d’autres personnes qui bloquaient partout… C’était une espèce d’état mental où tu dors très peu, tu parles à tout le monde, même dans le tram. Une espèce de folie… Et moi j’ai marché à fond là-dedans en tombant parfois dans les pièges que ça comporte. Par exemple quand on a bloqué la fac de Bordeaux II, on s’est fait mener par certains groupes qui, malgré ce qu’ils prétendaient, n’avaient pas du tout abandonné leurs étiquettes. Et moi, j’ai pas vu tout de suite le piège.
L’occupation de Bordeaux II c’était énorme ! Je me souviens de sortir d’AG, de marcher dans la fac, d’aller partout pour arrêter les cours, avec juste ce sentiment-là, le sentiment de se dire : là, la fac, c’est nous.

C’était vraiment un basculement

Très vite après il y a eu l’appel de Raspail [1], qui était vraiment important. C’était un texte qui parlait d’autre chose que de la réforme, qui disait « à bas le salariat ». Quand on l’a lu, on s’est dit : « on n’est pas les seuls ! » Dans les semaines qui ont suivi, j’ai eu l’impression d’entendre partout, même de la part de gens que j’aurais cru plus modérés, « nous le CPE on s’en fout, là on se bat contre le travail, contre le salariat ».
L’occupation de la fac, c’était la folie, une folie géniale. Jamais j’aurais cru que j’étais capable de faire ça, dormir trois heures par nuit, manger que du pain récupéré au Resto U. entre deux discussions… C’était une rupture totale avec le quotidien, même le quotidien militant. Je me souviens que des fois on se retrouvait au local avec les potes, et on se sentait un peu comme des couillons…
Dans les manifs, on était assez inexpérimenté (à Bordeaux, il y a eu très peu de confrontations, juste un jour, il y a eu une baston avec le service d’ordre qui avait livré des gens à la police) mais on avait envie que ça parte en affrontement. Alors on était masqué, on se trimballait en groupe, en mode vraiment grillé, gros keffiehs, casquettes, bonnets, blousons noirs… J’exagère un peu, mais c’était comme ça. Ce qui fait qu’aux premières actions, l’occupation de l’UMP, on s’est retrouvé en première page des deux quotidiens gratuits ! Forcément, on avait des gueules de hooligans… Du coup, un mec de la police s’est mis à nous suivre en permanence avec une caméra. Pendant les manifs, il était à 20 mètres de nous et comme on n’était pas assez fort pour le virer, il faisait un peu partie de notre groupe !
Les grandes manifs avec trois millions de personnes mobilisées sur toute la France, ça c’est vraiment le moment où on s’est dit que ça allait déborder, qu’on allait vers l’inconnu, vers un inconnu de rupture géniale. Là on a eu le sentiment qu’il ne manquait qu’une goutte d’eau pour que tout pète. On était dans un état… et puis ça a commencé à baisser un petit peu, je sais plus pourquoi. C’était comme une stagnation en pleine montée. On a commencé à penser à autre chose, on a commencé à parler avec des potes de choses dont on n’avait jamais discuté avant. On s’est dit : là on fait rien, on fait qu’appeler, appeler les autres, mais à quoi ? À ce qu’ils appellent les autres. On s’appelle tous quoi, mais on ne fait rien de concret.
On est contre le salariat, on est contre le travail, donc on le détruit ! Très bien, mais après qu’est-ce qu’on va faire ? Comment on va vivre ? C’est de sacrées bonnes questions, mais je pense que ce n’est pas suffisant d’y répondre en sortant des slogans comme : « autogestion, fédéralisme, reprise des moyens de production … » Là-dessus, il y a eu cette fameuse soirée, une soirée à la con, où on buvait plein d’alcool, on dansait sur de la dub et on discutait avec une copine. On disait : « Putain, mais là faudrait prendre nos vies en main, faudrait qu’on cultive, faudrait qu’on fasse nos habits nous-mêmes… » On est parti sur un truc très naïf comme ça. Le lendemain, c’était une des pires gueules de bois de ma vie, mais la copine avait pris très au sérieux ce qu’on avait dit et elle a commencé à en parler à d’autres gens et on s’est retrouvé à s’agréger autour.
Là le mouvement contre le CPE commençait à vraiment descendre, si mes souvenirs sont bons. On bloquait encore la fac, mais on commençait à avoir de la peine à tenir. Les AGs devenaient de plus en plus difficiles et on a commencé à faire des réunions pour savoir qui était motivé par notre projet. Un gars a dit : « Moi j’ai un grand-oncle, il est super-cool et il a du terrain, faut aller le voir, je pense qu’il y a moyen de s’installer chez lui, notre lieu ce sera là-bas. »
On en était arrivé à un tel point qu’on avait déjà en tête les plans des cabanes qu’on allait faire ! On a eu beaucoup de discussions, des discussions très techniques comme pour se rassurer, comme pour se dire : c’est possible.
Et puis on est allé voir le grand-oncle. C’était un théoricien plus ou moins marxiste ; ça a été super, on a passé une journée là-bas et quand on est rentré, on avait compris qu’on pouvait s’y installer, qu’il n’y avait pas de problème.

Qu’est-ce que tu fais pour les vacances ?

L’été arrivait et à Bordeaux la situation devenait de plus en plus foireuse. Les blocages étaient finis, et on avait plus ou moins décidé de se séparer pour l’été et de mettre un peu de thunes de côté. À ce moment on était huit ou neuf et le projet prenait forme. On allait travailler la terre. On n’en avait pas vraiment discuté, mais pour moi, c’était clair, on ne reprendrait pas d’appartements à Bordeaux et on ne se réinscrirait pas à la fac.
Pourtant, pendant l’été, petit à petit, il y en a quelques-uns qui commençaient à dire qu’ils voulaient retourner à Bordeaux, qu’ils viendraient les week-ends, des choses comme ça. Il y en a qui ont carrément disparu, notamment la copine avec qui tout avait commencé. Depuis ce jour-là, je ne l’ai jamais revue…
Au milieu de ce délitement, je suis retourné au Pays Basque dont je suis originaire et j’ai parlé du projet à deux vieux potes. Très vite ils m’ont dit qu’ils étaient vraiment intéressés. Eux, ils n’avaient pas été à Bordeaux pendant le CPE, ils étaient un peu plus âgés. Il y avait Lucien qui finissait un BTS de maintenance en automatisme industriel, et Sylvain qui faisait de l’intérim depuis deux ou trois ans. Durant l’été, on a retapé un petit C25 pour dormir dedans et on s’est dit : allez on va chez le grand-oncle. Je ne sais plus trop ce qu’on avait en tête, si on voulait aller chez lui pour rediscuter ou si c’était carrément pour s’installer. En tout cas, nos projets n’allaient pas beaucoup plus loin que ça.
Bref, on se prépare à partir. Lucien qui venait d’avoir son BTS n’avait rien dit à son père du fait qu’il n’allait sûrement pas travailler cette année-là. Et donc avant de partir, on a eu droit à une scène d’engueulade énorme, son père me prenant à partie parce qu’il disait que j’étais le leader (peut-être à cause de mes lunettes !), qu’on avait engrené son fils… Le père, c’était un ouvrier de la CGT, très formel, très ouvriériste et il avait très bien compris ce qui se passait, j’avais l’impression qu’il allait nous mettre sur la gueule ! La mère par contre refusait de comprendre : « mais Lucien, tu vas revenir, c’est normal », pour elle son fils partait en vacances, un point c’est tout.
Finalement on arrive là-bas chez le grand-oncle. Il y avait un local vide et on lui demande donc si on peut s’installer là. Il nous répond : « Ah non ! mais alors non ! On s’est mal compris, y’a pas moyen ! » On est resté un jour ou deux chez lui. Il vivait seul entre son bureau et son verger. Mais question discussions, c’était vraiment quelqu’un. Et puis pour nous, son refus, ce n’était pas vraiment un drame. Inconsciemment, on savait que ça ne pouvait pas se passer comme ça : on ne savait rien faire, même pas faire pousser un légume.
Avant de partir en vadrouille, on s’était dit que s’il y avait un mouvement à la fac, on y retournerait, on voulait en être, mais cette année-là il ne s’est rien passé. Dans notre idée, on voulait former des groupes affinitaires, informels. J’avais connu des « autonomes » à Bordeaux, qui m’avaient invité à manger chez eux. Je les trouvais intéressants même si je ne comprenais pas tout ce qu’ils disaient…
En attendant, on a repris la route, en camion. On avait une table de presse qu’on posait dès qu’on pouvait, dans les concerts et même parfois en ville, comme ça. Ça a été une année vraiment chouette. On allait de lieux en lieux, souvent à la campagne mais aussi en ville, dans des squats. Presque toujours on avait un contact. C’était l’aventure, mais pas l’errance.

Sur la route

Pendant l’hiver, on est allé bosser un mois. On vivait avec rien, 150 à 200 euros par mois. On était en mode crevard, on mangeait du riz et des courgettes, on faisait les poubelles. Pour l’essence, on restait assez longtemps au même endroit et puis on faisait des plans siphonnages. On a appris quoi.
Un jour on est arrivé à la Vieille Valette  [2]. On y est resté un mois et demi, ça a été très fort, très marquant. Après on a tourné pas mal de temps dans les Cévennes. Sylvain y a rencontré une fille. On a donc fini l’année à deux, Lucien et moi.
On est passé aux Tanneries, une semaine. C’était bizarre, on est arrivé pour des rencontres informatiques, on croyait que c’était ouvert mais c’était plus ou moins affinitaire, en fait. Des gens voulaient qu’on reste, d’autres ne voulaient pas. De toute façon, on ne comprenait absolument rien à ce qu’ils faisaient ! On a fini dans un festival dans le Morvan, « kaniveau kaos ». C’était vraiment la fin.
Bilan : Sylvain était resté dans les Cévennes et Lucien voulait se faire de la maille, bosser pour avoir le chômedu. Je me suis dit que j’avais vu plein de lieux, plein de sortes d’endroits, participé à plein de trucs, et qu’au bout du compte, j’étais une espèce de manœuvre qui ne maîtrisait rien. Je me suis dit : il me faut un petit diplôme, quelque chose qui m’intéresse pour trouver du taf facilement. Du coup, je suis parti un an en apprentissage d’arboriculture fruitière.

Come Back Home

À la fin de cette année-là, Lucien était rentré au Pays Basque et s’était branché avec un pote, Pascal, qui allait devenir mon meilleur camarade. Ensemble on est parti pour créer notre lieu. On se disait qu’on apprendrait doucement. On discutait beaucoup de comment et où ça se passerait. C’était Lucien qui disait : « Il faut qu’on le fasse au Pays Basque ». Pour moi il n’en était pas question. Lui disait : « faut pas laisser toute la place aux indépendantistes », parce que là-bas toute la place politique est occupée par les indépendantistes. « Ça sert à rien de faire un lieu dans les Cévennes, il y en a déjà mille. » Finalement il m’a convaincu. Pascal nous a rejoints et on a trouvé une baraque abandonnée pour en faire un squat. Le squat n’a pas tenu parce que notamment on comptait sur des gens, des « sympathisants », qui devaient venir en force et qui ne sont pas venus. Grosse déception, grosse claque dans la gueule. Assez naturellement, on s’est dispersé. Moi je suis parti travailler, Lucien est parti dans les Cévennes, et Pascal à Barcelone.
Et puis on s’est revu, on a de nouveau gambergé et on s’est dit : « faut pas qu’on lâche l’affaire, on a eu un squat qui a foiré mais c’est pas grave. » Au Pays Basque on savait que ce serait dur de tenir un squat. Il y a un rapport à la propriété très particulier. On s’est dit, on fait une coloc’, tant pis on paiera, mais ça sera notre lieu : il nous faut des terres où on puisse organiser des concerts, etc.
On se donne tous rendez-vous au Pays Basque, mais Lucien, qui devait revenir des Cévennes avec sa copine, ne vient pas, ce qui fait que les Cévennes, à l’heure actuelle, nous ont volé nos deux meilleurs camarades ! Ça a été la troisième grosse claque dans la gueule, on ne pouvait pas faire une coloc à deux, perdus au milieu de la cambrousse. J’ai zoné un moment dans le coin. Je suis parti tailler un verger l’hiver pour un mec avec qui on avait fait du cidre l’automne d’avant. Et comme souvent dans la vie, c’est au moment où tu t’y attends le moins que les choses se décoincent : ce mec-là il nous propose – Pascal m’avait rejoint – de commencer un verger avec lui. On lui propose comme base : rien de ce qui sort du verger n’est vendu, on fait pousser des fruits pour nos trois maisons, et les mouvements qu’on soutient.
Depuis on est resté sur cette base-là. C’est pas du tout comme je l’avais imaginé. On habite chacun chez soi et c’est le verger qui fait le lieu de rencontre. Je ne sais pas si ça tient au Pays Basque, mais on a développé des liens épars qui se font de tous les côtés, des liens affinitaires autour desquels ça s’organise, autant affectivement que matériellement. C’est exaltant un verger. La question qui reste en suspens c’est… – plus pour moi que pour Pascal… – il n’y a pas de lutte… Cet endroit, il est paradisiaque. T’as une belle montagne, une super nature ; question thunes on vit avec pas grand-chose, on mange bien, on récup’, on truque, on machine. Affectivement c’est bien et au niveau de la réflexion on a une espèce de groupe de lecture qui nous fait avancer sur plein de choses. Mais au niveau de la lutte, on est plus du tout… voilà. J’ai l’impression qu’on est passé par quelque chose sans le dépasser : on rejette ça, ça et ça dans les luttes conventionnelles, mais aujourd’hui quelles perspectives ?

[1] Un « Comité Pour la Désindustrialisation du Monde » a occupé « entre l’aube du 21 mars 2006 et le milieu de la nuit suivante » le Centre d’Étude des Modes d’Industrialisation à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, boulevard Raspail, à Paris. Ce comité a produit un communiqué le vendredi 24 mars 2006 intitulé « l’Appel de Raspail ». On peut trouver ce texte sur : www.infokiosques.net/IMG/pdf/APPEL_de_RASPAIL.pdf

[2] Mas squatté et autogéré dans les Cévennes depuis 1991. http://collectif.valette.free.fr

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À voir

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Témoignages

Un Centre Social Ouvert et Autogéré
Toulouse – printemps 2004
La caisse qu’on attend…
Solidarité face à la répression – Lyon
Une histoire du réseau Sans-Titre
Des contes éclatés d’une tentative politique

2006

Lettre à V pour Vendetta
CPE, le temps des bandes
Rennes 2006
La caisse qu’on attend…
Solidarité face à la répression – Lyon

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Cet abécédaire du Pays basque insoumis a été rédigé en vue du contre-sommet du G7 qui se tiendra en août 2019 à Biarritz. Il a été pensé comme une première rencontre avec un territoire et ses habitants. Car le Pays basque n’est ni la France au nord, ni l’Espagne au sud, ou du moins il n’est pas que l’Espagne ou la France. On s’aperçoit en l’arpentant qu’y palpite un monde autre, déroutant : le monde en interstices d’un peuple qui se bat pour l’indépendance de son territoire. Borroka, c’est la lutte, le combat, qui fait d’Euskadi une terre en partie étrangère à nos grilles d’analyse françaises. C’est de ce peuple insoumis et de sa culture dont il sera question dans cet ouvrage.
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