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Geek, n.c. : personne atteinte de la passion de l’informatique, et en particulier du bidouillage. (Insérer ici clichés à base de pizza et de chambre obscure.)
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Fin 2002, pRiNT s’est présenté comme « un atelier d’informatique populaire, à mi-chemin entre LUG (Linux User Group : Groupe d’utilisateurs de Linux), club d’informatique, groupe clandestin, cercle d’ami.e.s, rendez-vous de bidouilleureuses en mal de sociabilité » et « un truc hybride entre groupuscule de geeks et collectif rebelle organisé [1] ». Une telle définition illustre assez bien la complexité de la bestiole. Nos histoires singulières étaient aussi variées que cette description le laisse supposer, mais un de nos points communs était de se percevoir comme « en lutte », de percevoir comme politiques nos façons d’aborder l’informatique, et l’envie de se saisir de cette question de façon collective.
pRiNT signifie « Pour se réapproprier l’informatique, Internet, et les nouvelles technologies ». Ce collectif est né fin 2001, sous l’influence des hacklabs installés dans les centres sociaux en Italie et des cybercafés organisés dans des squats aux Pays-Bas : ASCII à Amsterdam, PUSCII à Utrecht.
Bienvenue fin 2001, début 2002, donc.
Notre point de départ principal est sans doute réactif, défensif : nous, et nos camarades de lutte, utilisons de plus en plus les ordinateurs pour fabriquer des tracts, brochures et affiches, et Internet pour communiquer entre nous (email, listes de discussion), pour parler au reste du monde (sites web, listes de diffusion), pour échanger des fichiers. À ce moment-là, nombre de camarades s’y mettent comme tout le monde, petit à petit, et le plus souvent sans grande conscience des risques et enjeux qui vont avec. L’informatique est majoritairement perçue comme un monde certes inquiétant et nauséabond car issu de l’industrie, mais un monde à prendre ou à rejeter en bloc, tel quel, sans finasser sur les détails, sans aller voir quelles problématiques il pourrait amener avec lui, dans nos maisons, dans nos vies, dès lors qu’on a entrebâillé la porte et qu’on l’a laissé entrer.
Nous, c’est pas vraiment comme ça qu’on voit les choses. On en sait un tout petit peu plus techniquement, juste assez pour sentir très clairement que notre ignorance collective nous met en danger. De plus, on se sent sans doute un peu moins étrangers que les autres aux mondes de l’informatique, ça prend de la place dans nos vies et on a besoin de l’articuler avec le reste. On peut dire, alors, qu’il « devient donc impératif de développer d’autres pratiques informatiques conscientes de ces enjeux politiques, et d’engager une résistance contre ceux qui veulent transformer les réseaux en zones de contrôle supplémentaires » (présentation de pRiNT, version 0.3, décembre 2002).
Un autre point de départ, c’est une certaine vision des logiciels libres, GNU/Linux [2] en tête, et de leur processus de production, comme étant subversifs.
On apporte aussi avec nous un certain goût pour l’informatique et les réseaux, une certaine curiosité technique, un goût pour la bidouille et le cambouis numérique ; ainsi que des bouts plus ou moins importants de savoirs, de savoir-faire qui font qu’on n’est pas tou.te.s, ou pas tout à fait, des débutant.e.s. Pour ce qui est des logiciels libres, la grosse majorité d’entre nous débarque en terre inconnue, et oulaaa ! c’est pas facile, on découvre, on galère. Pour ce qui est des problématiques spécifiques à l’informatique en contexte de luttes, on part presque de zéro : une paire d’entre nous avait appris, sur le tas, à chiffrer [3] des emails, mais chiffrer un bout de disque dur, par exemple, demande des manipulations complexes et, avant pRiNT, aucun d’entre nous ne savait faire ça. Précisons aussi qu’à ce moment-là, les ressources en français à ce sujet sont quasi inexistantes.
Ce qu’on partage, en tout cas, c’est une grosse envie d’apprendre et de partager des connaissances. On sera une génération de gens qui apprennent ensemble : devoir retransmettre un savoir force à l’assimiler de façon plus précise, plus aboutie. On utilise beaucoup le concept de « partage de savoirs », et l’idée d’« apprendre à apprendre » apparaît parmi nous. On porte une critique de la spécialisation, une volonté explicite d’éviter que les non-geeks dépendent trop de nous, et l’envie que nos savoirs soient autonomisants.
Si, par la suite, la soif d’apprendre de nouvelles choses s’est calmée, au fil des ans, chez plus d’un parmi nous, presque tou.te.s celles et ceux avec qui j’ai encore des contacts continuent, d’une façon ou d’une autre, à transmettre des connaissances dans ce domaine… ou d’autres.
Notre processus d’apprentissage est immédiatement, ou presque, retransmis dans le cadre de pRiNT, non seulement entre ses membres, mais aussi sous forme d’ateliers ouverts, annoncés publiquement : il ne s’écoule jamais bien longtemps entre le moment où l’on acquiert de nouvelles connaissances, et le moment où l’on en fait une donnée partageable.
Ce cycle assimilation – retransmission fonctionne ainsi, au fur et à mesure, tant qu’on en est à un niveau relativement bas d’expertise et de spécialisation. Ça fonctionne pour des savoir-faire transmissibles tels quels, par opposition à des savoirs qui, pour devenir utilisables pratiquement par le plus grand nombre, doivent être d’abord convertis en outils dont la production et la maintenance sont entre les mains de spécialistes.
À pRiNT, on fait de la propagande. Beaucoup de propagande. En reprenant, le plus souvent, les formes d’intervention militantes que nous pratiquons dans nos autres luttes : manif’, détournement publicitaire, collage, tractage… souvent avec une tonalité joyeuse, une pincée de blagues qui font des clins d’œil aux cultures geek, tout en essayant de les raccorder aux cultures de luttes et au DIY (Do It Yourself, « fais-le toi-même [4] ») : une affiche pour un resto organisé par pRiNT en 2002 annonce : « Si tu sais compiler un noyau, tu sais faire un gâteau », détournant ainsi le slogan féministe : « si tu sais faire un gâteau, tu sais faire une bombe » en prenant comme point de départ une pratique informatique (« compiler un noyau ») et comme potentialité une pratique DIY (« faire un gâteau ») pas forcément très répandue chez les geeks.
Mais de la propagande sur quoi, pour quoi ?
En premier lieu, on fait de la propagande pour l’utilisation de GNU/Linux et autres logiciels libres ; c’est, en grande partie, de la propagande pratique, sous forme de transmission de savoir-faire et d’aide à l’installation de GNU/Linux. Ce qui nous y pousse, c’est :
• Notre besoin-désir d’utiliser, et de voir nos camarades utiliser, des outils qu’on peut étudier, dont on peut comprendre le fonctionnement ; et même, des outils qu’on peut adapter à nos besoins ; et ça, ça veut dire des logiciels libres.
• Des questions de sécurité. Les logiciels propriétaires, tels que Microsoft Windows, sont des boîtes noires et sont pour la plupart fabriqués par des entreprises qui, historiquement, ont toujours travaillé main dans la main avec les militaires et les flics ; le doute « y a-t-il un mouchard dedans ? » est alors toujours présent, et c’est impossible, en pratique, d’en avoir le cœur net à l’échelle d’un système complet. À l’opposé, le mode de production des logiciels libres nous inspire plus confiance : en effet, son côté ouvert et transparent, ainsi que la diversité des gens qui y participent, rendent délicat d’y introduire des portes dérobées à l’usage de nos ennemis.
• Une vision un peu fantasmée de la subversion intrinsèque des logiciels libres, et de leur processus de production.
En second lieu, pRiNT fait de la propagande pour le choix de prestataires de services Internet « proches », pour héberger nos boîtes email, listes de discussion email et sites web. Proches, ça veut dire, a minima, des hébergeurs non commerciaux et clairement positionnés contre le flicage et la censure : citons altern.org (qui fut le premier hébergeur de sites web à subir un procès [5], en France, pour le contenu d’un site hébergé, en 1999), l’hébergeur associatif et autogéré lautre.net, et un peu plus tard no-log.org. Le serveur squat.net, lui, occupe une place à part, car on le vit moins comme des gens sympas qui font tourner un projet sympa, mais plutôt comme un serveur à nous, par et pour les squatteur.se.s ; à ce titre, squat.net héberge les outils Internet de nombreux squats politiques, répand l’idée qu’on peut avoir nos propres serveurs et en donne un exemple concret.
Enfin, pRiNT fait de la propagande pour les « structures alternatives de contre-information [6] ». À l’époque, ça veut surtout dire squat.net pour ce qui touche aux squats, et Indymedia [7] pour tout le reste… Mais si l’on voit Internet comme un outil intéressant pour la contre-information, on le combine avec les autres médias, comme en témoigne notre engagement, à côté de pRiNT, dans des émissions radio et dans l’édition de brochures.
D’ailleurs, le site web https://infokiosques.net/ est un autre exemple de l’association papier/Internet qu’on porte, quoique venu d’ailleurs.
Et tiens, à propos de papier, il y a aussi tout un travail d’écriture et de traduction de textes : d’une part sur de la documentation technique, et d’autre part sur des textes qui participent à l’élaboration de positions politiques et stratégiques autour de nos histoires d’informatique [8].
Nos pratiques autour de la documentation technique ont pu se faire culture, se diffuser… On a pu voir paraître, au printemps 2010, le premier tome d’un Guide d’autodéfense numérique, qui « se veut une tentative de décrire dans des termes compréhensibles l’intimité (ou plutôt son absence) dans le monde numérique », et « [propose] d’autres solutions, qui nécessitent de prendre le temps de les comprendre et de les appliquer ». Par contre, pour ce qui est du travail théorique et de la mise en perspective de nos pratiques, le moins qu’on puisse dire est que nous n’en avons pas retrouvé de traces impérissables entre 2006 et 2012.
Dès 2002, pRiNT tient une permanence par semaine. Ce rythme se maintiendra grosso modo pendant les quelques années qui suivent. Au départ, ces permanences ont lieu hors connexion, car le squat où pRiNT a fait ses premières dents s’est fait expulser, et on n’a pas d’accès Internet à partager à l’endroit où nous nous sommes temporairement replié.e.s : c’est alors un point ressource pour quiconque se pose des questions informatiques ou veut se mettre à utiliser des logiciels libres ; on y voit surtout passer des camarades et des sympathisant.e.s. Mais très vite, pRiNT déménage à nouveau, et l’accès à Internet, ajouté à la sauce, devient central. Les permanences pRiNT se transforment alors en un lieu ressource ouvert au public, à un moment où l’accès Internet est lent et cher, et l’accès à haut-débit, rare et encore plus cher.
Pour nous qui, au départ, n’avions pas Internet haut-débit chez nous, cet accès Internet signifie mutualisation des coûts, de l’infrastructure et des savoir-faire concernant le déploiement d’un réseau local raccordé à Internet. Sans compter, évidemment, que ça nous incite fortement à vivre côte à côte nos heures devant l’écran.
Pour les gens en lutte, les camarades, là encore la mutualisation des coûts importe. Il s’agit, au sens propre, de donner accès à Internet et aux ordinateurs, mais pas dans n’importe quelles conditions : pRiNT donne un cadre où les enjeux sont explicités, et les risques (un peu) limités.
Pour tenir des permanences publiques sans devoir monter de toutes pièces, toutes les semaines, une salle informatique, il faut avoir un lieu.
Mais pour monter une salle informatique, il faut des machines. Il se trouve qu’un ordinateur, en 2002, ça coûte beaucoup plus cher que dix ans plus tard, et on n’a pas une thune. Alors, on fait tout un travail sur la récup’ et la réutilisation de matériel : on nous donne des ordinateurs un peu vieux ou en panne, le mot tourne et on nous en donne de plus en plus ; on en récupère d’autres dans la rue, on fait de l’apnée dans les bennes en zone industrielle. Et on retape ce qu’on peut, on y installe Debian GNU/Linux, on met les machines résultantes à disposition dans le cadre de l’atelier informatique, et quand on peut on en redistribue.
Ça aussi, ça demande de la place, beaucoup de place, pour stocker les pièces détachées, les ordinateurs en cours de réparation, et pour y travailler.
Pour offrir un espace adéquat au projet, mais aussi pour y habiter eux-mêmes, certains membres de pRiNT cherchent pendant quelques mois à ouvrir un squat : pRiNT, c’est aussi des repérages, des marqueurs en papier, des visites nocturnes et « oups, y’a des pantoufles en haut de l’escalier, on se casse ! ». Finalement, pRiNT jette son ancre dans un squat légalisé : on cesse de déménager constamment nos piles de matériel de récup’, et l’adresse qu’on écrit sur les flyers invitant à nos permanences cesse d’être régulièrement périmée [9].
Pour adapter une cave pourrie à nos besoins, on monte un mur, on coule ensemble notre première dalle de béton, on fait de l’électricité. On apprend (ne demandez pas pourquoi) à découper une cuve à fuel à la meuleuse. DIY, refus de la spécialisation, autonomie : ce sont nos mots.
Ce qui nous lie dépasse largement l’informatique : la bande partage soirées pizzas maison, voyages en stop vers un hackmeeting (rencontre de hackers à tendance anarchiste) italien, amours et truelles, désamours et pince à sertir, retournement de cerveau à coups de questions de genres et virées nocturnes loin des claviers. À certains moments, la moitié de pRiNT vit dans la même maison, les chambres se côtoient, reliées par des câbles réseau, par des litres de café, les voix traversent les murs et les résolutions de bugs sont partagées. À tout moment, les membres ou sympathisants de pRiNT, qu’il.les vivent au siège ou à quelques kilomètres (quand ce n’est pas quelques centaines de kilomètres), sont en lien avec le reste de la bande par l’intermédiaire d’un salon de discussion Internet (« chat »). Il ne faut pas trop se raconter d’histoires, cependant : communication par Internet ou pas, pour les plus éloigné.e.s d’entre nous, la distance du centre des opérations n’aide pas à se saisir du projet collectif.
C’est une histoire collective de passion, de quotidien partagé, d’amitiés, qui dessine le terreau du « grandir ensemble » de nos pratiques informatiques. Nous avons habité pRiNT, et pRiNT nous a habité.e.s.
pRiNT veut « amener geeks et révolté.e.s à se rencontrer [10] ». À ce titre, et à partir de son statut hybride, pRiNT est intervenu dans nombre d’espaces, plus ou moins geeks, plus ou moins révoltés.
… avec le monde des logiciels libres
Autour de 2002-2003, on pose encore l’hypothèse du potentiel subversif du monde des logiciels libres, de ses modes de coopération, de production et d’organisation. Alors, forcément, on y va voir de plus près, on essaie d’y faire vivre la dimension politique qui, selon nous, y a sa place. Déjà, bon, on arrive un peu avec nos gros sabots, avec un mode d’intervention militant sans doute inadapté, qui déclenche parfois des réactions épidermiques chez des gens qu’on aurait peut-être pu rencontrer autrement, en partant de ce qui nous était commun. Nous, on engage la rencontre d’une façon résolument optimiste : on s’attend à trouver des complices, et on est surpris.es, voire outré.e.s, de se heurter souvent à de l’incompréhension, parfois à des murs. On découvre un monde qui ne se perçoit pas, spontanément et majoritairement, comme en lutte ou prenant parti, un monde peuplé de gens qui ne voient pas trop leurs valeurs et besoins fondamentaux menacés, qui ne se sentent pas en conflit avec la façon dont le reste du monde tourne… on se heurte même à plein de gens qui ne veulent même pas entendre parler des problématiques qui nous tiennent à cœur, à des geeks qui se satisfont très bien de geeker entre geeks et point-barre. On se heurte à une culture majoritaire à base de « ici, on ne fait pas de politique », « ce ne sont que des outils », « la technique ne prend pas parti ».
Aïe. On met même pas mal d’énergie à avoir une présence sur un site web communautaire tel que https://linuxfr.org/, et à participer aux débats que nos annonces d’activités y lancent immanquablement. Une caricature de réaction courante serait : « faut pas tout mélanger, le logiciel libre, c’est cool, mais squatter c’est pas très gentil avec les pauvres propriétaires que ça pourrait être ta pauvre mère qui vient d’hériter ; et ce que vous faites c’est récupérer le gentil logiciel libre apolitique au profit de vos sales idées anarchistes, c’est très Mal™ ». Il va sans dire qu’en partant de là, ces débats ne mènent pas très loin.
Par ailleurs, les libristes (adeptes, plus ou moins militants, du logiciel libre) « apolitiques » locaux nous renvoient principalement de la peur, de la défiance, quand ce n’est pas du mépris. L’expérience de l’organisation d’un “off”, les Nocturnes des Rencontres Mondiales des Logiciels Libres (RMLL), en 2005 [cf. partie 3.a)], constitue certes un notable éclair dans le brouillard, mais la sauce, plus largement, ne prend pas. On se fatigue et on laisse tomber petit à petit. Les rencontres avec le monde du logiciel libre se feront plus lentement, plus tard, par d’autres biais, d’autres gens, et en posant des productions conséquentes sur la table.
… avec l’Internet associatif de gauche
Par ailleurs, on tente aussi d’intervenir dans ce qui se passe dans la frange la plus à gauche de l’Internet associatif, notamment avec la conférence zelig.rc2 [11], et la tentative d’organisation, contre les premières lois de flicage de l’Internet – Loi sur la sécurité quotidienne (LSQ), Loi pour « la confiance dans l’économie numérique » (LCEN) – que fut la Fédération Informatique et Libertés. Autant le dire : là non plus, la rencontre n’est pas un succès fou. Ce qu’on y amène, c’est surtout ce qui nous démarque de pratiques associatives et gauchistes classiques, par exemple : une attention aux processus, aux modes de discussion et de décision ; on y amène aussi des positions tranchées sur certaines choses (rapport aux médias, aux institutions, aux flics, aux lois d’exception…), mais aussi de la patate, l’envie de dynamiser tout ce petit monde, et des propositions de modes d’action plus punchy ; on est frais, mais on est aussi, clairement, les vilains petits canards noirs, les jeunes squatteurs que personne ne connaît, et quand on débarque dans ce milieu déjà ancien et bien rodé, sans bien tout comprendre des équilibres en place, on se retrouve vite coincé.e.s dans des dialogues de sourds, et la sauce ne prend pas. Il faut quand même préciser qu’on arrive face à des gens qui, mine de rien, portent des bouts d’infrastructures d’Internet depuis des années ; ce n’est pas forcément des francs succès ou des projets qu’on aime tant que ça, mais dans le monde des gens qui font Internet, c’est-à-dire un monde d’infrastructures fonctionnant 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, avoir démontré qu’on est capable de tenir sur le long terme, ça compte énormément pour être pris au sérieux ; en 2002-2003, nous n’avons aucune expérience de ce genre sur laquelle asseoir nos positions. Pour autant, pRiNT tente de saisir l’occasion politique de la LCEN (Loi pour la confiance dans l’économie numérique) pour déplacer le conflit loin des claviers, en organisant la toute première manifestation en France sur la question en mars 2004, avant de monter en manif’ à Paris deux mois plus tard.
… avec nos camarades des squats… et au-delà
Par contre, avec nos camarades des squats, ça roule : la circulation entre les lieux est intense, des projets similaires à pRiNT se montent dans d’autres villes, on se rend régulièrement visite, les dynamiques se nourrissent mutuellement, un début de coordination à l’échelle nationale se met en place. Son apogée sera sans doute l’organisation des Nocturnes des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre en 2005, puis cette tentative sera torpillée trop rapidement, autour de 2007, par des conflits qui se cristallisent à cet endroit-là, annonçant une période de reflux, de dispersion, mais aussi de maturation.
À l’échelle européenne, les tentatives de mise en réseau sont source pour nous d’énergie, d’idées revigorantes : lors de quelques rencontres physiques, on y partage des techniques et des désirs, on se compte, on s’enthousiasme ensemble. C’est aussi l’occasion de mettre en perspective nos pratiques locales dans un contexte global. Mais on le vit ponctuellement plutôt que dans un quotidien, et les moments forts ont rarement une suite consistante. Par exemple, les différents collectifs impliqués prouvent qu’ils savent se retrouver et bosser ensemble pour déployer des outils de lutte efficaces lors du campement « No Border » de juillet 2002 : un vaste cybercafé, une radio de coordination interne au camp, une autre radio diffusée sur Internet, et une organisation impressionnante pour faire quelque chose, en temps réel, à partir du flux de l’information (sources, recueil, vérification, publication et traduction), permettant d’alimenter à la fois notre intelligence tactique et les sites web de contre-information.
Ceci dit, le lieu où se fait le lien entre politique révolutionnaire et pratiques informatiques au niveau international sera plutôt, pendant quelques années, imc-tech. La suite de la décennie tendra à confirmer certaines des hypothèses posées par pRiNT et l’importance de certains enjeux : comme divers procès, enquêtes, « affaires » le mettront en évidence, le focus policier s’intensifiera sur nos moyens de communication, sur les données saisies dans nos serveurs et dans nos disques durs. Nous entrerons ainsi dans des cycles du type « on se prend une claque, on adapte nos pratiques, puis on oublie lentement, entre autres via le renouvellement des générations… et ça recommence », qui se succèdent sans jamais – heureusement – repartir du même point.
Bibliographie :
From free software to street activism & vice versa : an introduction, Verdura Obscura (darkveggy),
mai 2005, http://garlicviolence.org/txt/drkvg-fs2sa.html
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Guide d’autodéfense numérique (deuxième édition), collectif, été 2011, https://guide.boum.org/
[1] Présentation du projet pRiNT (version 0.3), collectif, décembre 2002 : http:// print.squat.net/prez.html
[2] Système d’exploitation libre fonctionnant avec le noyau Linux.
[3] « Le chiffrement d’un fichier ou d’un support de stockage permet de le rendre illisible pour toute personne qui n’a pas le code d’accès (souvent une phrase de passe). Il sera certes toujours possible d’accéder au contenu, mais les données ressembleront à une série de nombres aléatoires et seront donc illisibles. » (Guide d’autodéfense numérique, tome 1, IIe édition, I.5.1).
[4] Do It Yourself (DIY) : « Faites-le par vous-même » ; philosophie anticonsumériste et de réappropriation de savoir-faire issue du mouvement punk des années 70. Pour un groupe de musique, par exemple, il s’agira entre autres de produire et diffuser ses disques soi-même, de participer à l’organisation des concerts, etc.
[6] Présentation de pRiNT, mai 2002.
[7] Indymedia : collectif d’organismes de médias indépendants géré par des modérateurs et permettant à quiconque de diffuser rapidement les actualités souhaitées, sur des sites Web accessibles mondialement.
[9] Si les ateliers d’informatique populaire sont sans doute moins présents dans les squats « politiques » en 2013 qu’à une époque, il en fleurit et refleurit régulièrement, dans des lieux plus variés, par exemple en 2012, au squat le « Très Très Grand Cœur de Montpellier ». À noter aussi, même si ces deux mouvements n’ont jamais vraiment eu de liens forts, et même si l’aspect politique n’y est pas forcément prépondérant, le mouvement des hackerspaces [cf infra 4.a], qui a lui aussi créé un ensemble de lieux où des pratiques de l’informatique plus ou moins révoltées sont vécues collectivement.
[10] Présentation de pRiNT à la zelig.rc2, fin 2002.