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Chers noceurs,
Nous sommes le 27 novembre 2011. Tandis que les employés communaux s’affairent aux quatre coins de la ville à étaler le Noël des marchands, une mystérieuse confrérie des « enfants sauvages » appelle ce soir les habitants des environs à venir imaginer comment permettre la résurrection du carnaval de la ville. Quinze ans que la tradition s’est perdue. À peine subsiste-t-il dans la cité au mois d’avril un vague défilé costumé des écoles porté à bout de bras par des instituteurs occitanistes.
Depuis la fin de l’été, nous travaillons à renouer les fils de ce que fut et pourrait être carnaval ici et aujourd’hui. Son heure, quand reviennent la chaleur et la lumière du printemps. Son essence disjonctée, délirante, exubérante. Nous avons pour cela convoqué chaque mois la crème des intervenants-carnavaliers-indépendants. Riche idée ! Force est de constater qu’en grande partie l’imaginaire collectif de cette fête s’est perdu chez nos contemporains. Les rituels populaires ont toujours eu des significations collées aux existences des gens. Et nous sentons bien que l’absence de rituels carnavalesques se double d’une absence de condition commune depuis laquelle les relancer. Ni poule, ni œuf ! On rame dans l’imaginaire !
Pour partager notre perception de cette fête et pour nous faciliter la tâche, nous sommes donc allés quérir un parrainage, célèbre depuis Truffaut, un ange d’inspiration : ce sera Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage des Monts de Lacaune. Sa destinée, symbole d’une sauvagerie que l’on a refoulée, domptée et enfermée, nous voulons la ressusciter pour mieux la renverser : les sauvages enfin libérés, la sauvagerie avec pignon sur rue ! C’est le geste de subversion carnavalesque par excellence. Le renversement du monde que promet cette fête.
Ce qui est aussi formidable autant que méconnu chez les enfants sauvages, c’est que loin de se limiter à la figure de Victor (qu’ici entre nous, tout le monde appelait Josep), ils sont un de ces fondamentaux sur lesquels se bâtissent les mythes. Un vieil ami nous atteste de la présence d’une « salvatjone » dans son village du temps de sa jeunesse, tout en précisant que bien d’autres villages du Sud-Aveyron étaient ainsi « fréquentés ». Ces « sauvages » faisaient en quelque sorte partie du paysage.
Mais pour qu’une tradition prenne, il ne suffit pas qu’elle ait raison, qu’elle soit juste ou pertinente. Comme le dit notre poète local Yves Rouquette [1] : « il vous faut la préparer la ville ! »
Compte tenu de la passion de nos concitoyens pour le vote, aggravée par la proximité des élections présidentielles, nous pensons les embarquer dans la préparation de la fête en leur proposant, quelques semaines avant le défilé, de voter pour le caramantran de l’année. Vous savez le caramantran, cette figure représentant tout ce que l’on a honni et détesté, que l’on promène dans les rues avant de la juger puis de la brûler en place publique. L’idée c’est, sur le modèle de ce que l’on appelle ici « la paume » ou les quêtes de village, de passer de maison en maison, pour demander aux gens de désigner leur « ennemi public n°1 » de l’année. C’est aussi l’occasion d’informer du retour et de la date de la fête. L’enjeu c’est d’éviter que nous soyons « nous » les enfants sauvages des Saint-Affricains. Nous ne sommes pas naïfs non plus, ce n’est pas en une année que tout adviendra. Nous partons pour dix ans minimum, le temps que la sauce prenne.
Bien à vous [2]
[1] Figure du mouvement occitan des années 70, un des animateurs du mouvement « Volem viure al pais ».
[2] Blog du carnaval de Saint-Affrique : http://carnavaldesaintaffrique.over-blog.com
C’est une aventure hors des régions balisées de notre quotidien, on est dans l’excès de créativité, dans le délire collectif. Jean Duvignaud
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