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Salut à vous,
Cette semaine se déroulait en ville la célèbre Guelaguetza. En fait, sans doute vaut-il mieux dire « des Guelaguetza » tant l’histoire de ces fêtes recoupe inéluctablement l’histoire des pouvoirs et contre-pouvoirs de la capitale. En 1932, le gouverneur décida de créer un événement dans la capitale de cet état, en vue de rendre hommage aux cultures et traditions indigènes. Ce festival s’est emparé du terme Guelaguetza [1]. Dans les Guelaguetza indigènes, la reconnaissance est fondée sur le caractère réciproque de l’offrande au sein d’une communauté. Dans la Guelaguetza officielle, l’offrande rituelle s’est déplacée de son espace communautaire pour s’adresser à la population de la capitale et plus encore aux autorités de l’État. L’événement rencontra un succès durable auprès d’un public croissant et le mot même commençait pour beaucoup à ne plus désigner qu’un événement d’État. En 2006, la ville est en pleine insurrection [2] et la Guelaguetza est annulée. L’Assemblea Popular de los Pueblos de Oaxaca (APPO) organise alors une Guelaguetza populaire et non commerciale. L’année suivante, alors que le pouvoir est de retour à Oaxaca, la cohabitation des deux Guelaguetza se présente dans des conditions tendues. Le dimanche 16 juillet, second jour de la fête, les deux calenda [3] se succèdent sur le Zocalo [4]). Dix mille personnes de la Guelaguetza populaire montent alors vers l’endroit où se déroule l’officielle. La journée se termine par de violents heurts avec la police, la Guelaguetza insurrectionnelle est pérennisée.
Depuis, l’initiative persiste, chargée de toutes les ambiguïtés propres à un mouvement populaire agité de tendances contradictoires. À la fois enjeu de pouvoir pour certains leaders populaires, elle demeure également une offrande directe à la foule anonyme des insurgés de 2006. En revanche, urbaine et essentiellement portée par la section 22 [5], elle reste largement déconnectée des fêtes des communautés indigènes. Ceux-ci y participent d’ailleurs plus ou moins de la même façon qu’à la Guelaguetza officielle, en venant présenter leurs chants et leurs danses. D’une certaine manière, elle reproduit la mise à distance contenue dans la mise en scène et l’hommage rendu à une ou des cultures, mais sans la dimension paternaliste de l’officielle. Malgré cela, tout le monde s’y rend. Et par la vitalité de ses participants, elle retourne l’opération que l’événement officiel avait faite : figer les traditions pour leur couper tout devenir [6].
Je vous laisse méditer là-dessus. À bien vite.
[1] Une forme de solidarité et de coopération qui se manifeste en certaines occasions importantes dans les communautés indigènes.
[2] Suite à la répression, sur le Zocalo, le 14 juin 2006, du traditionnel planton des instituteurs en grève, la mobilisation devient générale, l’APPO (l’Assemblea Popular de los Pueblos de Oaxaca) est créée le 27 juin.
[3] Dans la structure traditionnelle des fêtes indigènes, la Calenda est une déambulation du dimanche, précédée par le Convite du samedi soir, et qui annonce la fête qui aura lieu le lundi. Elle est performative : en annonçant la fête, elle la commence de fait.
[4] Place des vendeurs ambulants, mythique lieu de réunion de la plèbe que le pouvoir aimerait bien « nettoyer » pour le livrer aux touristes.
[5] Section du Syndicat des Travailleurs de l’Éducation majoritairement composée d’enseignants hispaniques.
[6] Pour en savoir plus : Alèssi Dell’Umbria, Échos du Mexique indien et rebelle, Rue des cascades, 2010.
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