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Tout a commencé le 25 août 2009 quand le reseaumarseillais.com a réuni 2.200 personnes pour un apéro dans la cité phocéenne. En réponse, le premier apéro Facebook est lancé à Nantes le 20 novembre 2009. Il réunit 3.000 personnes. Une soixantaine de ces événements se dérouleront en 2010, sous la forme d’une potache compétition de clocher : le 25 mars à Rennes, puis à Brest, Clermont-Ferrand… L’enjeu est de réaliser le plus grand, le plus gros. À Montpellier le 12 mai, l’apéro strictement interdit par la préfecture depuis le 9 avril explose le record avec 12.000 personnes rassemblées sous la pluie.
Dès le premier événement de Nantes, les autorités témoignent d’une certaine préoccupation vis-à-vis de ces rassemblements sauvages. Quatre jours avant la date fatidique, l’initiateur de l’idée sur le réseau, brusquement dévirtualisé, est convoqué par la police et la municipalité. Premier contact suite auquel il annonce publiquement l’annulation. Mais surprise ! Un nouveau groupe virtuel caché derrière un pseudonyme reprend immédiatement le flambeau et l’événement peut finalement avoir lieu en toute illégalité. Certes des adresses IP seront finalement retrouvées et ces seconds « organisateurs » identifiés, mais il n’empêche. Le sentiment, même éphémère, d’impunité permet à l’événement de se tenir. Une tactique d’évitement des pressions des autorités est née, pas exactement depuis les réseaux sociaux, mais plutôt depuis leurs failles. Elle sera mise en œuvre pour la quasi-totalité des apéros. Quant aux suites pour les « organisateurs » démasqués, peut-être par égard pour la plus franchouillarde des traditions, ou par bienveillance envers la sphère culturelle ou contre-culturelle, peut-être encore parce qu’il est bien difficile de poursuivre, voire même de désigner un ou des responsables à ces agrégats universels, déterritorialisés, nomades, voire virtuels, toujours est-il que les conséquences judiciaires seront toujours bénignes. Les municipalités, contraintes d’encadrer bon gré mal gré les événements, portent plainte contre X pour la forme, et pour « les fois suivantes ». Parfois comme à Brest, la facture des services municipaux est présentée aux « organisateurs », mais sans toutefois leur demander de la payer. « Si quelqu’un peut soutenir que le premier qui a lancé l’appel doit être poursuivi, pourquoi le second qui l’a encouragé ne le serait-il pas, puis le troisième ? [1] »
Et puis le 9 avril 2010, en rentrant d’un nouveau rassemblement à Nantes, Brice Migout chute d’un pont avec 2,4 gr d’alcool dans le sang. Le maire et futur premier ministre du gouvernement Hollande, J.-M. Ayrault, le préfet, le procureur, échaudés par la répétition de ces événements dans leur ville, sautent sur l’occasion, haussent le ton et demandent au ministre de l’Intérieur d’alors, Hortefeux, de se saisir de l’affaire séance tenante. Commencent les charges médiatiques et politiques en règle sur fond de stigmatisation des « comportements à risque », de « l’alcoolisation excessive des jeunes ». Il y a apéro et apéro. Celui où on tient bon entre « hommes », et celui du binge drinking [2] où « les jeunes » se mettent à l’envers. Les questions appuyées de santé publique voilent de moins en moins des obsessions d’encadrement de la jeunesse et de mise au pas de l’espace public.
Votre problème, ce n’est pas que les gens boivent, c’est que les gens boivent dans la rue. Votre problème, au fond, c’est la rue – et tout ce qui peut bien s’y tramer d’alliances politiques. Votre seule crainte, comme celle de tous ceux qui se sont autoproclamés princes avant vous, c’est que le peuple en colère prenne la rue, avant de prendre la Bastille, et de marcher sur Versailles.
Institut de démobilisation, Sécurité générale, la liquidation de l’alcool, Pontcerq, Rennes, 2011.
En quelques mois, les apéros se retrouvent assis sur l’inconfortable catapulte du « phénomène de société », occupant la une de plusieurs quotidiens nationaux. Les problématiques du maintien de l’ordre ont brusquement sauté au visage de l’innocente fête en centre-ville. Un « M. apéro géant » (Eric Bergeault) est nommé transversalement à plusieurs ministères pour endiguer le phénomène, d’autant qu’un nouveau rendez-vous est prévu au Champ de Mars le 23 mai 2010, et qu’on y annonce la venue de plus de 50.000 personnes.
Les organisateurs doivent être identifiés sur Internet. Ils pourront être retrouvés par des moyens techniques. Tout sera mis en œuvre pour les dissuader, si la sécurité n’est pas respectée
Brice Hortefeux le 19 mai 2010.
Hantées par les affrontements de juin 2008 au même endroit lors de la fête du Bac, les autorités déploient les gros moyens. Audition d’internautes ayant « créé ou alimenté, par des messages répétés, des groupes Facebook appelant à l’apéro géant ». Déploiement d’une armada de vigiles et de policiers sur le site procédant à des fouilles minutieuses sous motif d’une interdiction de consommer de l’alcool et vidant toute bouteille trouvée. L’ambiance n’y est plus, comme si le but du dispositif n’était pas tant de chercher des coupables que de rendre l’atmosphère pesante, de briser le sentiment d’impunité qui commençait à sourdre, bref de gâcher la fête juste avant un judicieux black-out médiatique. Le temps de surprise était bel et bien fini du côté des autorités. Et de fait ce raté du Champ de Mars signe la fin de l’épidémie d’apéros sur le sol français. Même si, en juin 2011, deux rassemblements (traités avec le même zèle que celui de Paris) d’environ 5.000 personnes tenteront de relancer la mode à Nantes et Montpellier, la formule se trouve dans le creux de la vague. Pour les archives du cynisme, on notera cette initiative d’un élu de Metz qui, après deux apéritifs géants annulés en Lorraine, propose le 21 juin 2010 son apéro d’une heure, avec un seul gobelet de sangria peu alcoolisée fourni, une société privée de sécurité et des négociations avec la préfecture depuis le mois de mars. « Je voulais faire quelque chose de plus sauvage », se désolera l’une des organisatrices des apéros annulés.
Par la suite, une autre mode est venue recouvrir celle des apéros géants : les « Projets X » inspirés du film éponyme. Notamment celui qui dans la nuit du 19 au 20 mai 2012 a rassemblé 400 personnes pour une fête dans une villa secondaire inoccupée de Sainte-Maxime (Var). Une expérience de squat éphémère d’un espace privé en réponse à l’hostilité rencontrée dans l’espace public ? Une manière en tout cas d’à nouveau surprendre. À se demander si la pression des autorités ne serait pas la garante de l’originalité des fêtes sauvages ? En tout cas, de leur inventivité à n’en point douter.
Elle occupe provisoirement un territoire, dans l’espace, le temps ou l’imaginaire, et se dissout dès lors qu’elle est répertoriée. La TAZ (1) fuit les TAZs affichées, les espaces “concédés” à la liberté : elle prend d’assaut, et retourne à l’invisible. (...)