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Le carnaval du quartier Saint-Roch a surgi à un moment où il y avait un vide, un vide politique à Nice. C’était à la fin des années 90, la fin de l’ère Médecin [1] – qui était un peu notre Ceaușescu à nous. Nous qui étions du quartier, nous ressentions avec acuité la pression immobilière qui pesait sur toute la ville. Ici la chose que l’on sait le mieux faire, c’est virer le Niçois et le remplacer par des voitures ou des terrasses. Il est difficile d’obtenir un lieu, même pour simplement fêter un anniversaire ; partout des terrasses et un immobilier hors de prix. Alors on a occupé un hangar dans Saint-Roch, on pourrait l’appeler squat, mais, et c’est tout à notre honneur, on est un des seuls endroits de ce type qui a aussi porté la culture et la langue niçoise. Il y en a qui voulaient copier Berlin ou l’Angleterre, faire de l’underground. Moi je leur disais : « On a jamais été sous terre ici. » Ensuite, on a voulu sortir de ce hangar pour partager quelque chose dans le quartier avec les gens. Nous étions un certain nombre à en être originaires, à y avoir nos parents, nos grands-parents, à y avoir grandi. Ce qui nous est apparu le plus évident, c’était le carnaval. On ne pouvait pas nous l’interdire et ça faisait partie d’une tradition, d’un imaginaire que les gens connaissaient. C’était un biais qui nous permettait à nous d’amener quelque chose à ce quartier excentré et de gauche, pour lequel la ville n’avait jamais rien fait. Encore aujourd’hui, on est un des quartiers les plus peuplés de Nice et il n’y a quasiment aucun équipement. Ni lieu pour les jeunes, ni crèches, rien. Se réapproprier l’espace urbain, c’est le point de départ de cette fête. Bien sûr, on n’a jamais demandé d’autorisation, pour carnaval il n’y a rien à demander, c’est une fête traditionnelle, si on la fait intelligemment.
À l’époque, au tout début, en plus du hangar, il restait quand même quelques lieux au quartier. Un clos de boule, notamment (L’Auberge de la tranquillité). Ces espaces, on les a mis à disposition des gens, chacun préparait son costume, les chars. Par la suite, certains groupes qui sont venus pour le carnaval se sont installés et ont pris de nouveaux lieux dans le quartier. De fil en aiguille, ce carnaval a instauré une dynamique sur toute la ville. D’autres lieux se montaient en résonance, chacun faisant les choses à sa manière. D’autres carnavals sont ainsi nés au port, à l’Ariane… Le carnaval officiel a même fini par nous proposer de venir ! On a dit non, bien sûr.
Puis, quand on a commencé à atteindre deux mille personnes, que ça nous dépassait complètement, on s’est retiré. C’était en 2000-2001, il y avait déjà beaucoup de monde qui venait juste comme ça en spectateur, nous on perdait le plaisir à faire la fête. On s’est dit : maintenant on va faire autre chose. Et depuis 2005, on fait un autre carnaval, plus intime, avec en majorité des gens qu’on connaît. On fait toujours nos chansons, nos danses qu’on a inventées, et on va de Saint-Roch à la mer.
Pendant un temps, il y a eu les deux carnavals en même temps. Mais ces dernières années celui de Saint-Roch a fini en affrontements avec la police. Maintenant, il y a une interdiction de la municipalité sur ce carnaval. Le lien avec le quartier a peu à peu disparu. Nous, on avait juste ouvert un espace de liberté ; peut-être que la forme que lui ont donnée nos successeurs dans une ambiance très techno nécessitait une autre logistique. En tout cas, c’est une logique d’organisation qu’on n’a jamais voulu faire nôtre. On lui substitue beaucoup d’envie, et d’attention. On a jamais oublié que Carnaval c’est une fête que l’on fait pour nous.
[1] Jacques Médecin, maire de Nice de 1966 à 1990, fils de Jean Médecin, maire de Nice de 1928 à 1943 puis de 1947 à 1965.
Elle occupe provisoirement un territoire, dans l’espace, le temps ou l’imaginaire, et se dissout dès lors qu’elle est répertoriée. La TAZ fuit les TAZs affichées, les espaces “concédés” à la liberté : elle prend d’assaut, et retourne à l’invisible. Elle (...)