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Salut les amis,
Il existe dans cette région des Pouilles d’où je vous écris, une foire dont l’histoire vous donnera j’en suis sûr à penser. Elle était jadis un rendez-vous très attendu par les bergers, les paysans, les artisans et les éleveurs de bétail qui pouvaient échanger marchandises, animaux, terrains… Après minuit se formaient de grandes rondes de joueurs de tambourins. « À l’intérieur de ces rondes, sur le rythme des pizziche, des danseurs-adversaires se donnaient le relais [1] » dans une danse agonistique complexe et codifiée : la scherma. « Faite d’attaques et de parades symbolisées par les mains pointées comme des couteaux. À la conclusion de chaque danse-défi il y avait élimination de l’un des deux adversaires. Mais derrière ce climat de fête ces danses réglaient nombre de disputes territoriales (par exemple les emplacements des bancs de vente) ou familiales, d’un groupe sur l’autre [2]. » L’usage du couteau a progressivement disparu après-guerre sous la pression des carabiniers. Et puis à la fin des années 70, pendant plusieurs années il n’y eut plus de ronde à la foire, même si par ailleurs les gens continuaient à danser la scherma dans les cours de prisons, sur les bateaux, en famille…
Au début des années 80, quelques personnes sont allées voir des clans de danseurs et les ont convaincus de ressusciter les rondes le soir de la foire. Elles sont réapparues et dès les années 90 la fête avait gagné une telle célébrité qu’il commençait à y avoir plus de spectateurs que de participants. Avant, c’était fermé, les anciens ne laissaient rentrer que des gens qu’ils connaissaient et si jamais tu jouais à contretemps tu te prenais un coup de coude dans la tempe par ton voisin… La scherma était un langage qui fonctionnait au sein d’une communauté. C’est bien la différence entre une pratique commune et une pratique publique. Dans les années 90, quand ça s’est ouvert il y a eu tellement de monde qu’il n’y avait plus aucun contrôle, ça devenait n’importe quoi : certains venaient avec des djembés, des guitares électriques, on a même vu une trompette. Il y avait un chaos musical, un chaos chorégraphique, on se serait cru sur un dance-floor sans souci du sens, du rituel. Si bien que certains bons danseurs et de bon tamborellistes ont arrêté de venir. La fête risquait de sombrer.
Mais au milieu de tout ça, il y a toujours eu une ou deux rondes qui tenaient bon. Qui dès qu’il y avait plus d’un couple, s’arrêtaient de jouer. Où le danseur, voyant qu’un petit malin voulait danser avec lui sans connaître les codes, se faisait un plaisir de casser d’un geste alerte l’arrête du nez ou la côte de l’imprudent. C’est ainsi qu’au fil des années il y a eu une vraie reprise en main : en 2003, les gens qui avaient relancé la fête en 1980 ont diffusé un tract rappelant les règles élémentaires. Aujourd’hui ce qu’ils demandent, c’est juste de savoir jouer ou danser pour ne pas perturber l’ensemble. Un type tourne en permanence autour de la ronde pour surveiller le rythme et tout le monde fait bloc pour contrôler qui vient danser. Résultat, la plupart des rondes tiennent la route. Elles se font et se défont comme des territoires qu’on doit contrôler. Et ceux qui les contrôlent, ce sont les meilleurs. Ça, c’est pour le moment central de la scherma de minuit à quatre heures du matin. Plus tôt ou plus tard, il y a d’autres rondes où se jouent des pizziche plus ouvertes aux néophytes.
À bien vite de vous voir
Les noceurs de la cambrousse : Dès le début de l’association, même si on organisait surtout des fêtes de jeunes pour s’éclater, on fréquentait également les fêtes de village. Des fêtes plus traditionnelles, où se rassemblent les communautés bien établies (...)