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La question stratégique présente peut se formuler ainsi : compte tenu de ces défiances, comment agencer en force à plus grande échelle ce qui se passe sur un plan moléculaire ?
Pratiquement on voit, aujourd’hui, qu’il y a un mouvement collectif de constructeurs qui est en train de mûrir dans l’organisation pratique des chantiers qui sont le lieu même de la transmission. La transmission déserte l’institution et prend la forme des différentes façons de travailler, le chantier redevient le lieu premier de la transmission des gestes.
Les « chantiers collectifs », plus adaptés aux travaux nécessitant beaucoup de main-d’œuvre comme les soubassements ou les corps d’enduit qu’aux travaux qui nécessitent beaucoup de compétences, permettent à de nombreuses personnes de mettre un premier pied sur un chantier. On y apprend les gestes de base, mais aussi on découvre, on observe tout ce qui a été fait avant : les circuits, les structures, l’intelligence générale du chantier. La transmission a lieu en extension. Ensuite il y a la forme équipe, qui œuvre en général beaucoup plus dans la continuité. Pour une équipe de charpentier, faire trois structures de maison en paille par an permet un dépassement continuel. La transmission a lieu en intensité, elle a à voir avec le travail en lui-même en tant qu’expérimentation. On planifie, on réfléchit, on réalise des choses plus techniques, on se perfectionne. Il y a les chantiers où l’on invite une équipe extérieure très qualifiée. Les voir travailler ou les assister est une autre manière de jouer de la transmission. Avec les années, on constate une diversification des façons de travailler. La curiosité s’émoustille pour aller trouver de nouvelles formes, se méfier un tant soit peu de la spontanéité et de l’enthousiasme qui crée parfois un surnombre ou un effet de passages furtifs sur les chantiers, mieux appréhender les objets techniques dans leur complexité. Il en est ainsi, par exemple, de ces invitations à chantier qui décrivent d’abord minutieusement les choses à réaliser. Qui expliquent leur pourquoi, les étapes, les savoir-faire et les matériaux à mettre en œuvre, et puis le nombre de personnes nécessaire à leur réalisation et même la proportion entre « maîtres et apprentis ».
Parfois la transmission libre n’est pas possible, parce qu’il n’y a aucune personne qualifiée et disponible pour transmettre ou parce qu’il n’y a pas le matériel, ce qui amène certains à visiter de manière plus ou moins furtive, en espions, l’institution, le CAP ou l’entreprise. La mode de l’éco-construction, avec l’ambition affichée de réfléchir un peu sur le sens et les effets du travail dans le bâtiment, a ouvert quelques brèches pour espérer y trouver des bribes de savoirs, brèches souvent vite refermées sous les contraintes économiques et normatives.
L’enjeu du moment réside dans la réappropriation théorique. Une première étape consiste à se donner des « cours », à inviter tel ou tel spécialiste d’une technique particulière. Elle permet de poser un vocabulaire commun, les grands principes d’une technique, le jeu des forces, d’apprendre à dessiner, à faire des hypothèses quant à l’occupation de l’espace, de s’expliquer les phases principales du chantier. Une deuxième étape consisterait à se réapproprier des outils « scientifiques ».
Anton
Johanna : Transmettre un savoir, mais lequel ? L’industrie a fait exploser tous les corpus traditionnels. Depuis 40 ans, ceux qui tentent de réinventer la construction sont habités par une double défiance. Défiance par rapport à la construction (...)