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Selon le Préfet de Loire-Atlantique, sur les 13 500 manifestants que ses compteurs ont bien voulu retenir, « il n’y a que 4 000 personnes qui ont participé à la construction ». On peut dire qu’il a un certain sens du minimalisme, ce Préfet. En tout cas moi, j’avais jamais vu un chantier collectif de 4000 personnes ! Je dois dire que d’abord, j’étais même carrément sceptique, je me disais : mais qu’est-ce qu’on va foutre à autant dans ce sous-bois, à part se gêner ? Et c’est vrai qu’il y avait pas mal de curieux, de preneurs de photos. Mais très vite, il y a des habitués qui ont montré l’exemple de ce qu’on pouvait faire à plusieurs centaines. Le plus impressionnant c’était la chaîne humaine qui s’est passé de mains en mains dix chars agricoles de matos sur 500 mètres, parce qu’avec la boue qu’il y avait, les tracteurs auraient fait un carnage. Au début, il y avait une chaîne qui s’allongeait au milieu du sentier. Mais de nouveau il y avait trop de monde, parce que le défilé ne cessait d’affluer. Alors l’idée est venue de dédoubler la chaîne en deux files sur chacun des côtés du chemin. C’est comme ça que toutes les poutres, les planches, les boîtes de clous, les outils, les ballots de pailles, sont arrivés sur les différents chantiers. On voyait que les gens avaient vraiment l’envie de s’auto-organiser. Par exemple, à force d’être piétiné, le sol du chemin devenait de plus en plus gadoueux. Alors des personnes ont commencé très tôt à le recouvrir de feuilles, de fougères et de petites branches. Au début elles étaient dix, puis trente, puis cent. L’imitation marchait à plein rendement. C’est vraiment fou, dans ces moments-là où il y a une personne qui prend une initiative et dix qui suivent, c’est le contraire d’une foule amorphe. Des clowns tentaient aussi de relayer les bonnes idées. Un autre truc qui a dû être fait à très nombreux, je ne l’ai vu que le lendemain, c’est une palissade impressionnante de trois cents mètres de long, en bois tressé, à la limite du bois et d’une prairie. Elle sera très utile contre les tirs tendus de flashballs et de lacrymos le jour où les Gardes Mobiles débouleront.
Pendant ce temps-là, les différentes équipes de constructeurs avaient défriché, délimité des périmètres de travail et de sécurité, pris les mesures au sol, commencé les fondations. C’était intéressant de voir autant d’équipes travailler sur une zone aussi restreinte et d’une manière aussi déterminée par l’événement en lui-même : il fallait que ce soit rapide, pas cher et simplifié. De remarquable, pour ce que j’ai vu, il y avait des équipes de pros en ossature bois qui avaient préfabriqué des murs porteurs en atelier pour la grande salle de réunion, la cuisine et le dortoir. Le samedi après-midi ils étaient déjà montés sur des plots en béton qui avaient aussi été coulés avant la manif. Le dimanche il y avait déjà la sous-toiture et les caissons se remplissaient avec de la paille non liée. C’était génial de voir ce déplacement de charpentiers pros dans un truc de construction illégale, ça faisait plaisir. On voyait aussi émerger des cabanes plus basiques en dosses, des miradors-salons, et une tour de guet en haut d’un pin. D’autres construisaient le “black-bloc sanitaire” avec des douches, des toilettes, et une baignoire extérieure sous laquelle il fallait faire un feu pour chauffer l’eau. Il y avait aussi une équipe d’étudiants en architecture qui avait conçu pour l’occasion un mode opératoire de construction en palettes assemblées. Ça avait l’air d’être rapide et efficace, bien pensé, à partir d’un seul modèle de palette costaude démontée et réassemblée à la chaîne. Là aussi ça faisait plaisir de voir un groupe de gens quitter leur institution, venir avec savoirs et matos, pour cette manif. Surtout des architectes, je vais dire !
Boris
Johanna : Construire des espaces de vie, de lutte et de rencontre, s’est affirmé comme une constante ces dernières décennies. Et cela passe souvent par la libération et la défense d’espaces, ce qui prosaïquement peut se nommer « squatter ». (...)