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Agrisquats – ZAD et Dijon

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Le Chœur ion du texte
présentation du texte  

Octobre 2012, Notre-Dame-des-Landes. Alors que les gardes mobiles expulsent et détruisent les maisons squattées, les opposants au projet d’aéroport se retrouvent et s’organisent autour d’un potager et d’une cabane encore debout : le Sabot. Ce champ avait été occupé et remis en culture au printemps 2010 par un groupe de squatteurs agricoles qui l’avait transformé en potager de combat, destiné autant à nourrir les habitants de la zone qu’à renforcer la lutte. Deux ans plus tard, il était possible de croiser un des occupants du Sabot à l’autre bout de la France, au jardin des maraîchers de Dijon, une autre occupation de terres, cette fois-ci pour résister à un projet d’éco-cité prédateur de terres maraîchères.

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Désertion

  • Incipit vita nova
  • Odyssée post-CPE
  • Y connaissait degun, le Parisien
  • Fugues mineures en ZAD majeure
  • Mots d’absence
  • Tant qu’il y aura de l’argent

Trajectoires I - 1999-2003 – L’antimondialisation

  • Millau-Larzac : les coulisses de l’altermondialisme
  • Genova 2001 - prises de vues
  • Les points sur la police I
  • Les pieds dans la Moqata
  • OGM et société industrielle

Savoir-faire

  • Mano Verda - Les mains dans la terre
    • Les pieds dans les pommes
    • Agrisquats – ZAD et Dijon
    • Cueillettes, avec ou sans philtres
      • Récoltes sauvages
      • Correspondance autour des plantes et du soin
      • Des âmes damnées
  • Interlude
  • Devenirs constructeurs
    • Construction-barricades-occupation
      • 15 ans de barricadage de portes de squats
      • Hôtel de 4 étages VS électricien sans diplôme d’État
      • Réoccupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
    • Constructions pérennes–installations agricoles
    • Maîtrise technique
      • Chantiers collectifs
      • Apprentissage et transmission du savoir
      • Outils et fabrique
    • Gestes et imaginaire

Fêtes sauvages

  • Prélude
  • Faire la fête
    • Entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
    • Communautés des fêtes
      • Suite de l’entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
      • Carte postale : Italie – La scherma
  • Éruption des fêtes sauvages
    • La fête prend le terrain : un jeu avec les autorités
      • Carnaval de quartier
      • Une Boum de gangsters
      • Compétition d’apéros géants 2009-2011
    • La fête garde la main : s’affirmer, revendiquer, s’imposer
      • Free Parties : génération 2000
      • Les karnavals des sons
      • Carnaval de la Plaine
    • La finalité des fêtes
      • Street parties : Making party a threat again…
      • Carte postale : La Guelaguetza d’Oaxaca
  • Le sens de la fête
    • Fêtes et créations d’imaginaires
      • L’imaginaire des nuits du 4 août 2011
      • Vive les sauvages !
    • Quand l’imaginaire devient tradition, coutume, culture
    • Jusqu’au bout de la fête
      • Le Banquet des nuits du 4 août
      • Ivresse, transe et Petassou

Trajectoire II - 2003-2007 – Emportés par la fougue

  • Trouver une occupation
  • Un Centre Social Ouvert et Autogéré
  • CPE, le temps des bandes
  • Les points sur la police II

La folle du logis

  • Prélude
  • Retour vers le futur
  • Mythes de luttes
    • Entretien de Wu Ming 5 et Wu Ming 2
    • Intervento
  • Figures, héros et traditions
    • Lettre à V pour Vendetta
    • Survivance
    • Entretien avec La Talvera
  • Fictions politiques

Habiter

  • Les 400 couverts à Grenoble
    • La traverse squattée des 400 couverts
    • Le parc Paul Mistral
  • Vivre en collectif sur le plateau de Millevaches
  • Nouvelles frontières
  • Matériaux pour habiter

Trajectoires III - 2007-2010 – C’est la guerre

  • la France d’après… on la brûle
  • Serial sabotages
  • Fatal bouzouki
  • La caisse qu’on attend…
  • Les points sur la police III

Hackers vaillants

  • Lost in ze web
  • Ordre de numérisation générale
  • pRiNT : des ateliers d’informatique squattés
  • Et avec ça, qu’est-ce qu’on vous sert ?
    • imc-tech
    • Serveurs autonomes
  • Logiciels libres
    • Nocturnes des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre
    • Logiciels : de l’adaptation à la production
    • Et si le monde du logiciel libre prenait parti ?
  • Hackers et offensive
    • Entretien avec sub
    • Pratiques informatiques « offensives »
  • Post scriptum
  • Chronologie

Intervenir

  • Prélude
  • Le marteau sans maître
  • Énonciation et diffusion
  • Féminismes, autonomies, intersections
  • Ancrages - Les Tanneries, 1997 - 20..
  • Rencontres avec le monde ouvrier
    • Une hypothèse
    • Aux portes de l’usine
  • Mouvements sociaux
  • Composition - indignados et mouvement du 15M

Trajectoires IV - 2010-2013

  • Charivaris contre la vidéosurveillance
  • Hôtel-refuge
  • A sarà düra Voyage en Val Susa
    • Récit de voyageurs lost in translation…
    • La vallée qui résiste
  • Les points sur la police IV
  • Une brèche ouverte à Notre-Dame-des-Landes

S’organiser sans organisations

  • Extrait d’une lettre de G., ex-syndicaliste
  • Solidarités radicales en galère de logement
  • Une histoire du réseau Sans-Titre
  • Un coup à plusieurs bandes
  • Les assemblées du plateau de Millevaches
  • S’organiser dans les mouvements barcelonais
Peux-tu revenir sur la manière dont a commencé l’expérience du Sabot ?
C’est la rencontre de deux groupes politiques aux contours pas vraiment dé­limités, d’un côté le réseau Reclaim the Fields  [1] et de l’autre des occupant.e.s de la ZAD. Une rencontre qui s’est concrétisée par une occupation de terres et une production agricole au cœur de la zone concernée par le projet d’aéroport. L’ouverture de la « ferme » s’est faite lors d’une manifestation d’occupation, le 7 mai 2011, fourche en main. On était entre 800 et 1000 personnes. On a défriché ensemble un hectare de ronces, ce qui nous a permis ensuite de lancer concrètement les cultures. En amont de la manifestation, un groupe s’était déjà constitué, un « collectif agricole ». Sur la façon dont on voulait cultiver : sans trop de débats, on était d’accord pour mettre en œuvre des techniques qui puissent permettre de produire en grande quantité et rapidement. Avec l’idée que dans le contexte (entre autres, le fait de mener de front la mise en place d’un outil de production, la nécessité de construire pour nous des espaces d’habitation et en même temps s’impliquer dans la lutte contre l’aéroport…), il nous semblait un peu décalé de se lancer dans de grandes expérimentations agronomiques type biodynamie ou permaculture. On a donc choisi des techniques qui se rapprochent de ce qui se fait classiquement en maraîchage bio diversifié.
Avant la manifestation d’occupation du 7 mai, on s’est débrouillé pour lancer des semis, trouver du matos, élaborer un plan de culture, prendre des contacts avec les agriculteurs, les associations citoyennes, pour trouver des machines, rencontrer du monde. On s’était donné l’objectif de tenir ce jardin sur une saison, jusqu’au stockage des légumes en cave, ce que nous fîmes. Suite à notre départ, courant décembre 2011, une nouvelle équipe a cultivé jusqu’à l’expulsion de la ferme en novembre 2012. Une bonne partie des gens de la première saison – dont je fais partie – a bougé vers d’autres horizons.
Certains se sont ensuite retrouvés au Jardin des Maraîchers de Dijon. Tu peux nous raconter cette nouvelle tentative ?
Le projet du « jardin des maraîchers » est, comme le Sabot, né de l’envie commune de quelques individus d’occuper des terres et de mettre en place une production agricole un peu conséquente. Mais le contexte est différent : nous sommes en ville. Nous avons emprunté notre nom au projet d’éco-quartier que les urbanistes voudraient construire sur ces anciennes terres maraîchères et auquel nous nous opposons. Nous n’étions pas les premiers d’ailleurs, puisque les installations de potagers sauvages sur la friche remontent au printemps 2010. Nous, nous avons commencé en avril 2012. Peu de temps avant qu’on s’installe, pour éviter l’extension des jardins occupés qui semblait inéluctable, la mairie n’a rien trouvé de mieux que d’envoyer un tractopelle défoncer le terrain, faire d’énormes trous pour le rendre incultivable. Cette provocation s’est révélée contre-productive puisqu’elle a renforcé l’envie de notre groupe de commencer les cultures. Grâce à quelques complicités, nous avons rebouché les trous et en avant ! Le projet s’inspirait de l’expérience du Sabot : squatter un terrain, produire des légumes, les partager à droite et à gauche avec les potes proches et d’autres collectifs, les vendre à prix libre.
Qu’est-ce que ça a de spécial vis-à-vis d’un autre marché local, paysan, ou de quartier ?
C’est un marché sans postures de client ou de vendeur. Les gens se débrouillent, ils prennent leurs sacs, il y a une boîte pour l’argent. Nous, on est là pour discuter et pas pour les servir ou leur donner un prix. Des fois, on nous demande si on ne veut pas créer une AMAP, mais l’idée c’est qu’il y ait un maximum de gens qui passe, pas qu’il y ait toujours les dix mêmes personnes qui reviennent toutes les semaines prendre leurs paniers. On veut créer un lieu de rencontre, d’émulation, de partage, d’ouverture. C’est intéressant de voir qu’une bonne partie des gens qui viennent ici n’ont pas de gros moyens, beaucoup viennent de l’autre bout de Dijon, des quartiers populaires, et ils s’organisent entre familles pour venir chaque semaine ; en somme plus des galériens que des militants. C’est vraiment beau de voir que ce côté prix libre permet à de nombreuses personnes d’accéder à de la bouffe de qualité sans se poser la question de savoir si c’est dans leurs moyens.
Un truc assez surprenant, c’est que quand on soumet l’idée que prix libre peut aussi vouloir dire « gratuit », les gens s’offusquent et ça ne marche pas. À la fois parce que les gens sont contents de nous soutenir même modestement, mais aussi parce qu’il existe une gêne autour de la notion de gratuité, comme si c’était indigne de ne pas payer. Une fois, une famille de sans-papiers est venue parce qu’on leur avait dit que c’était pas un problème de prendre des légumes ici sans contribuer. La famille est arrivée, on leur a redit qu’il n’y avait pas de problème. Mais on sentait que ça bloquait toujours, il a fallu quelques bonnes minutes avant que la mère et son fils ne se servent. À la ZAD, c’était pareil, on avait des copains qui ne venaient pas au début, parce que c’était prix libre et qu’ils n’avaient pas de thunes. Je me souviens d’ailleurs que la première fois, ils étaient venus avec la frontale à une heure du mat’, parce que les poubelles du Super U où ils récupéraient les invendus avaient été javellisées !
Peux-tu préciser les enjeux politiques que vous nourrissez concernant ce jardin ?
Au départ, les raisons qui me donnent envie de produire de la bouffe sont assez simples : s’autonomiser un minimum, ne pas toujours dépendre du supermarché, goûter au plaisir de cultiver et de produire, combiné à celui de cuisiner et de bien bouffer. Produire des légumes en grosse quantité, ça apporte le luxe d’avoir toujours plein de denrées et d’en faire ce que tu veux : bien bouffer, se faire de gros repas, en donner à tous les potes, à un groupe qui va tenir une cantine collective durant un rassemblement comme celui de Valognes [2], pour un repas de soutien…
Mais pour moi, ces deux projets de fermes occupées ont surtout existé du fait d’un contexte de lutte. Débarquer à la ZAD et lancer une ferme, c’était une stratégie pour renforcer les liens entre les occupant.e.s et les autres composantes de la lutte sur le terrain. Se réapproprier une terre en friche, la remettre en culture, produire des légumes, pose la problématique de l’accès à la terre, du bétonnage… Autant de thèmes autour desquels les paysans pouvaient échanger avec les jeunes occupants. Les marchés, lancés deux mois après le jour de l’occupation, étaient pensés comme des espaces de rencontres. Ça a permis à pas mal de gens de démystifier la figure des squatteurs et de passer plus simplement par le Sabot, par les 100 Chênes [3]. Dans les relations ACIPA-ADECA [4]-squatteurs il y a toujours eu des hauts et des bas. Dans les six mois qui ont suivi le début du Sabot, il y avait quelque chose de beaucoup plus clair pour s’organiser ensemble. Et ça a assurément joué quand est venu le temps des expulsions.
À Dijon, l’idée de base est un peu la même. Développer un espace, un point de départ pour prendre la ville et l’urbanisme dans une perspective de lutte. Là aussi, j’ai l’impression que pas mal de monde n’a pas hésité à venir voir ce qui se passait et à repasser au jardin, malgré l’étiquette « squat ». Les gens débarquent pour avoir des légumes à prix libre, et on se retrouve vite à parler d’agriculture et d’urbanisme. Ils ont souvent des avis dont on se sent proche, sur le tram, les éco-quartiers, la démocratie participative, le béton, l’arnaque de la consommation… Bref, le sens de la production dans ces projets va largement au-delà de « nourrir les gens », elle crée des espaces politiques.
La production comme vous l’envisagez semble nécessiter une certaine spécialisation dans votre activité maraîchère. Ne voyez-vous pas une contradiction entre la nécessaire réappropriation des savoirs par tous et la position de producteurs ?
On a mis en place un marché à prix libre. À partir de là, il faut qu’il y ait un minimum de volume de légumes. Même si nous restons relativement modestes en tant que producteurs – on n’a pas de surfaces énormes – si tu veux sortir 50 kg de tomates par semaine l’été, il faut quand même t’en donner les moyens. Nous, on a choisi de sortir du petit jardin d’autoconsommation et donc de produire efficacement comme des maraîchers. Une fois que t’as 200 pieds de tomates, en rajouter 50 c’est pas beaucoup plus de boulot. Il y a une forme de spécialisation là-dedans, c’est sûr.
À Dijon, on a commencé à trois sur un peu plus de 3000 m2, c’est pas énorme. Dans les calculs du ministère, il faut un hectare par personne pour pouvoir en vivre économiquement. Cette année, on sera 5 ou 6. Sans augmenter considérablement la surface et avec l’expérience de l’année passée et le boulot qu’on a déjà fait, le jardin devrait tourner facilement. Il s’agit de se donner collectivement les moyens de dépasser la figure du paysan qui se tue à la tâche. C’est-à-dire assumer des productions conséquentes, mais partager les contraintes, cultiver l’idée qu’on peut produire sans se sacrifier, sans s’infliger les volumes horaires de fous des maraîchers professionnels. Ensuite quoi qu’il arrive, la production agricole est exigeante. C’est pas forcément en plein été que tu as la possibilité de partir trois semaines… Mais moi, ça me plaît de passer du temps dans ces projets et de les penser aussi au-delà de l’agriculture. Et la spécialisation, je l’assume, j’ai du mal à croire que dans un monde idéal tout le monde fasse tout ! On passerait son temps à survivre, à bricoler… Certains aiment faire du pain, des serveurs informatiques autogérés, de la bière… et s’organisent également collectivement pour produire, partager les surplus, le temps investi… C’est très caricatural tout ça, mais c’est un peu mon imaginaire : on commence par la réappropriation de certaines productions par différents groupes sur un territoire jusqu’à remettre sérieusement en cause nos dépendances aux productions capitalistes.
Les paysans qui passent vous voir se retrouvent-ils dans vos pratiques ?
C’est sûr que ce qu’on fait n’a rien à voir avec la réalité d’une exploitation agricole « classique ». Dans un schéma classique d’installation, les personnes se bloquent dans un tas d’investissements, nous montrons que ce n’est pas forcément un horizon indépassable, même si tout ce que l’on fait reste modeste. Le squat, ça permet de tout court-circuiter. Pas de papiers à remplir, de tractations avec des banques, avec la SAFER, les Chambres… Ça n’a aucune existence administrative et c’est bien pratique. Je pense que là où on est le plus proche du modèle classique, c’est sur le plan technique, le rapport à la terre. On fait du maraîchage bio classique. Au-delà de ça, sur la comptabilité, la viabilité économique, le salariat, la récup’, le rapport au système agricole et au bio… ça n’a rien à voir. Même si les paysans ne sont pas les derniers à s’arranger, à récupérer de bons plans, etc. En fait, je crois que ça parle aux gens parce que ça tranche, ça coupe avec la voie toute tracée. Ces rencontres j’y attache vraiment de l’importance : ça nous ramène aussi aux réalités du monde agricole. Notons quand même que ces paysans qui passent ne viennent pas tout à fait par hasard. Ils sont eux-mêmes en marge des pratiques d’exploitation, avec une pensée type « confédération paysanne bio ». Leur curiosité n’est pas si étonnante. Dans nos discussions, la question du salariat revient souvent. Pour les paysans, nous sommes bizarres, ils nous voient travailler, fournir un véritable effort à leurs yeux, alors ils se disent que nous pourrions le rémunérer. C’est le côté « confédération paysanne » : un paysan doit pouvoir vivre – sous-entendu économiquement – de son travail. Nous, cette revendication, on ne l’a pas du tout.
Mais vos ambitions de production ne vous poussent-elles pas à sortir un peu de la bidouille ? À flirter avec l’économie ?
C’est sûr que tu ne tiens pas vingt ans à la binette ! On a commencé avec pas grand-chose, et on s’en sort aussi parce qu’on peut compter sur l’entraide. Je pense que la débrouille n’empêche pas d’être ambitieux. Ce n’est pas une condamnation à y rester toute la vie. Améliorer nos outils de production, que l’organisation soit plus efficace, pour moi ça passe aussi par un désir de s’équiper sans que ça veuille forcément dire lâcher des milliers d’euros et passer par les banques.
Comment se pose la question de l’argent ?
Au début, on a « investi » entre 500 et 1500 euros, pour mettre respectivement 3000 m2 et un hectare en culture. Pour les deux projets, on a fait en sorte de se rembourser et même d’avoir un peu d’argent qui rentrait pour notre lieu de vie à nous les maraîchers. Pour cette année, on va faire de petits investissements : motoculteur, outillage, semences… Le contexte dans lequel on produit permet de se passer d’investissements lourds, mais c’est pas forcément reproductible partout. En particulier si on veut quitter le squat et accéder à la propriété, même collectivement, il faut des sous. Ce que toutes ces expériences ont en commun, c’est qu’on peut faire quelque chose d’ambitieux avec peu d’argent, et même gagner de l’argent pour s’équiper progressivement. Mais on tente de minimiser au maximum son emprise, en s’appuyant beaucoup sur la solidarité.
Tout à l’heure tu parlais d’agriculture bio, quel est votre lien avec l’écologie ?
Pour avoir vu depuis l’intérieur la transformation des recherches de l’INRA vers plus d’agro-écologie et ce que ça implique en termes de restructuration économique, je crois que j’ai surtout envie de déconstruire leur discours plus que de chercher à construire un discours sur « l’écologie ». Par rapport à nos pratiques, ça me paraît évident que je ne me verrais pas avec un pulvérisateur et un masque à gaz en train de mettre je sais pas quoi sur des tomates. On fait du maraîchage bio non labellisé. Est-ce qu’on fait des légumes bios parce qu’on veut faire de l’écologie ? Moi, non. Tant qu’à constituer une zone de maraîchage, autant ne pas faire n’importe quoi, mais le bio ce n’est pas l’ultime leitmotiv. Ça m’intéresse davantage de dire que j’aspire à entretenir la fertilité d’un sol, sa vie, à garantir une certaine autonomie des moyens de production. C’est une base pour une non-dépendance aux parcours fléchés agro-industriels.
Après, le choix des pratiques agricoles alternatives à la chimie dépend de tout un contexte : les objectifs fixés en termes de production, les choix politiques, les choix collectifs d’organisation, le rapport à la nature, à la technique, au temps… Dans ma manière de faire, j’ai surtout envie d’éviter l’écueil du dogmatisme – autant celui de l’industrie que celui de la permaculture, par exemple. Je ne veux pas considérer les pratiques agricoles indépendamment du contexte qui y conduit, en ce qui nous concerne celui d’un groupe qui veut sortir du schéma socio-économique capitaliste. Une pratique ne dépend pas que de ce qui est idéal, mais jongle avec un tas de paramètres. Il faut définir les moyens de production à mettre en œuvre, à partir de là où tu te trouves, et les questionner en permanence.
Avant de pratiquer l’agriculture, tu avais un rapport théorique à l’agronomie, qu’est-ce que tu y as trouvé et qu’est-ce que tu as l’impression que ça t’apporte ?
J’ai traîné quelque temps dans le milieu de la recherche, dans des laboratoires d’écologie et d’agronomie. J’ai suivi un cursus jusqu’en master en écologie terrestre. Le cursus théorique, ça m’a donné les billes pour avoir une compréhension fine du fonctionnement des écosystèmes terrestres. Je ne pense pas avoir trop été modelé par la fac. Au départ, j’avais plutôt une certaine affinité pour ce qui touchait à l’apprentissage et à la production de la connaissance dans ce domaine et ce que ça permettait, comme moyen de comprendre le fonctionnement de l’environnement dans lequel tu vis. Du coup, ça a été plutôt tranquille ces années-là, je me suis facilement inséré dans le système fac et j’en ai bien joué pour faire plein de trucs à côté… La thèse m’a permis de dépasser la phase d’accumulation de connaissance, pour utiliser concrètement les outils scientifiques et investiguer, avec toutes les limites que comporte le cadre institutionnel scientifique. Dans le même temps, c’est dans ces moments que j’ai forgé – entre autres – une critique radicale de la science que je porte aujourd’hui, et à partir de laquelle j’ai envie de pouvoir envisager la réappropriation des connaissances et de l’usage des outils scientifiques hors institution. Car l’approche scientifique et ces outils me parlent malgré tout, et m’apportent une manière d’approcher le vivant, en tout cas c’est un truc qui me permet de le comprendre.
Concrètement, en l’état, ce bagage universitaire, c’est une porte d’entrée pour tenter de comprendre le fonctionnement de l’environnement dans lequel on cultive, et en particulier le sol. Il y a des connaissances qui ont une application évidente : caractérisation des sols, connaissance des cycles géochimiques des nutriments, des processus de décomposition… Ça permet d’envisager les cultures comme un élément de l’agro-système et de les relier à son fonctionnement.
Après, dans le contexte dans lequel on cultive – temporalité courte, gestion de l’urgence, etc. – avoir un regard autocritique sur nos pratiques qui sortent du cadre spéculatif et sont plutôt fondées sur l’expérimentation n’est pas évident. D’autant que l’application de mon bagage scientifique à notre jardin n’est pas ma préoccupation immédiate. Se réapproprier des méthodes scientifiques, au-delà de l’observation – qui reste centrale – c’est encore une autre question. C’est quelque chose que j’aimerais faire, ça me plairait bien dans des projets futurs de mettre en place des designs expérimentaux [5] un peu chiadés pour tenter de se réapproprier tout ça et mettre à profit des connaissances que j’ai acquises. Ça permet de renforcer son apprentissage en permanence, d’améliorer sa pratique en ayant une capacité de produire de nouvelles connaissances pratiques de façon autonome. Pour penser les pratiques agricoles il n’y a pas mieux, pour ce que je connais et que je comprends, qu’expérimenter et tirer des conclusions pour avancer, et mon bagage pourrait permettre ça.

[1] Le réseau Reclaim The Fields (à portée internationale) rassemble des paysans installés ou en devenir, des sans-terres, ainsi que des personnes qui veulent retrouver le contrôle de la production alimentaire.

[2] Le 23 novembre 2011, à Valognes (Basse-Normandie), quelques centaines de personnes se sont réunies pour bloquer le passage du train Castor transportant des déchets nucléaires vers l’Allemagne. Le convoi a été retardé plusieurs heures.

[3] 100 Chênes, nom d’un lieu occupé sur le territoire de la ZAD.

[4] ACIPA : Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport de Notre-Dame-des-Landes. ADECA : Association de Défense des Exploitants Concernés par l’Aéroport.

[5] Techniques scientifiques simples comme, par exemple, le calcul racinaire.

Octobre 2012, Notre-Dame-des-Landes. Alors que les gardes mobiles expulsent et détruisent les maisons squattées, les opposants au projet d’aéroport se retrouvent et s’organisent autour d’un potager et d’une cabane encore debout : le Sabot. Ce champ (...)

Les pieds dans les pommes

Chaque année ça recommence, et contrairement à la visite annuelle chez le dentiste, il y a (...)

Récoltes sauvages

Les imbéciles, ils ne savent pas combien la moitié est plus que le tout, ni quel profit il y a (...)

Entretiens

Composition - indignados et mouvement du 15M
(Barcelone)
CPE, le temps des bandes
Rennes 2006
La traverse squattée des 400 couverts
Entretien avec quelques habitant.e.s du squat grenoblois « les 400 couverts »

2011

L’imaginaire des nuits du 4 août 2011
Entretien avec un organisateur à Peyrelevade (Plateau de Millevaches)
Récit de voyageurs lost in translation…
Le Banquet des nuits du 4 août
(Peyrelevade, plateau de Millevaches)

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Cet abécédaire du Pays basque insoumis a été rédigé en vue du contre-sommet du G7 qui se tiendra en août 2019 à Biarritz. Il a été pensé comme une première rencontre avec un territoire et ses habitants. Car le Pays basque n’est ni la France au nord, ni l’Espagne au sud, ou du moins il n’est pas que l’Espagne ou la France. On s’aperçoit en l’arpentant qu’y palpite un monde autre, déroutant : le monde en interstices d’un peuple qui se bat pour l’indépendance de son territoire. Borroka, c’est la lutte, le combat, qui fait d’Euskadi une terre en partie étrangère à nos grilles d’analyse françaises. C’est de ce peuple insoumis et de sa culture dont il sera question dans cet ouvrage.
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