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0. Des CRS qui chargent en désordre, des silhouettes en survet’ qui s’agitent au loin et Bob Marley qui gémit que ce soir on brûle et on pille. Pour la génération qui a grandi dans les années 90, la séquence inaugurale de La Haine (1995) est de ces images qui parlent pour l’époque. Quelles que louches qu’aient été les intentions de Kassovitz avec ce film, il aura énoncé certaines vérités sur la police : la police est en guerre ; jusqu’à tuer ; pas toujours impunément. Le Ministère AMER se chargera de résumer le propos dans la première phrase du premier morceau de la BO : « Cette fois encore, la police est l’ennemi. »
1. Sur la même période (2001-2012), la police et la gendarmerie nationale ont fait au moins autant de morts en France que l’armée française n’a compté de pertes en Afghanistan. Là-bas on parle de gagner la guerre, ici on parle de garder la paix – subtile différence.
Les homicides commis par les forces de l’ordre républicaines sont presque tous involontaires et sans préméditation. La police tue incidemment, par effet collatéral, par effet d’exception. Si un des combats pour la mémoire de ses victimes est de démonter la qualification de « bavure », c’est que ces exceptions sont de celles qui confirment la règle : du petit coup de pression quotidien, au coup de pare-chocs létal, il y a une continuité et une cohérence dans l’action de la police. Les meurtres policiers, « par négligence » ou « en état de légitime défense », sont toujours au final commis en activité de légitime pression.
La paix de la rue est à ce prix.
2. Chroniques de l’arbitraire. C’est le nom d’une rubrique du bulletin « Résistons Ensemble contre les violences policières et sécuritaires » qui, tous les mois depuis septembre 2002, recense et fait connaître les exactions des forces de l’ordre. Une plongée dans le monde glauque des flics de terrain, BAC et autres services de quart en garde-à-vue, qui transpire la sueur cocaïnée et la testostérone. Des portes défoncées au petit matin, des parents humiliés devant leurs mômes, des petites claques et des grands coups de latte, des insultes racistes, des condamnations à la pelle, pour outrage et rébellion – racket organisé –, des viols. Certains, qui se croyaient d’honnêtes citoyens, découvrent avec stupeur ce qui se cache derrière l’euphémisme « laisser la police faire son travail », à l’occasion d’un contrôle routier ou d’une manifestation plus agitée que prévue. Leur indignation trouve parfois quelques échos dans la presse, et finit consignée dans les dossiers de l’IGPN. Pour d’autres, « clients habituels », c’est intégré dans le quotidien avant même l’adolescence.