En juillet dernier, lors du grand rassemblement estival contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, une délégation d’une dizaine de No TAV est venue une semaine durant arpenter la zad en tous sens. Cette rencontre se termina par un banquet mémorable dans l’auberge du Liminbout, désormais jumelée avec La Credenza, le bar-pizzeria de Bussoleno. Lors de cette agape, nous nous promîmes de prolonger et de multiplier les liens entre ces deux luttes, liens que l’écriture du livre Contrées avait participé à renforcer et à incarner.
L’entretien avec Pepi fait suite à cette promesse. Il apporte des nouvelles fraîches de l’actualité estivale en Val Susa tout en nous interpellant sur ses résonances avec la situation française. En effet, les mesures administratives expérimentées par le gouvernement Hollande depuis la mise en place de l’état d’urgence (les assignations à résidence et interdictions de manifestations lors de la COP 21 ou du mouvement contre la loi travail, par exemple) ressemblent tristement à l’acharnement judiciaire qui sévit en Italie depuis des années. Là-bas, l’inflation des brimades répressive hors procès s’est propagée via l’état de droit, par une multiplication de contrôles judiciaires punitifs.
Mais depuis peu, de retentissants refus de se plier à ces restrictions ont émergé. Ce furent des militants turinois qui initièrent publiquement au printemps cette vague d’insubordination judiciaire, bientôt suivis d’une ribambelle de No TAV, et enfin d’une dizaine de Piémontais ayant clamé trop haut leur solidarité avec le peuple kurde et les opposants turcs. Parmi ces derniers Pepi, du comité No TAV de la haute vallée, contribue depuis plusieurs années à tisser les liens entre les montagnes en lutte des Alpes occidentales et du Kurdistan.
Les mesures qui frappent les Italiens n’ont pas toutes leurs homologues françaises, il est donc nécessaire d’expliciter brièvement ce qu’elles recouvrent. Elles entrent dans l’arsenal du contrôle judiciaire préliminaire au jugement, leur durée est donc dépendante de la lenteurs des tribunaux. De la plus légère à la plus lourde :
l’obbligo di firma, l’obligation de se présenter au commissariat à une fréquence variable.
il divieto di dimora, l’interdiction de territoire, déclarant zones interdites une ou des communes dans lesquelles l’accusé ne pourra plus se rendre.
l’obbligo di dimora, l’assignation à résidence, intimant l’interdiction de sortir de sa commune, avec parfois l’obligation d’aller signer au commissariat. C’est une mesure à variables multiples (la fréquence des signatures est changeante, l’assignation peut par exemple n’être appliquée que la nuit après le travail, ou au contraire tout le temps).
gli arresti domiciliari, l’arrestation domiciliaire, sans équivalent en France, est l’obligation de rester enfermé chez soi, la plupart du temps sans visites (sauf une personne venant apporter les repas), elle peut être agrémentée de l’interdiction de communiquer (par téléphone ou internet). Le bracelet électronique n’étant pas utilisé en Italie, ce sont des policiers qui passent à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit vérifier que vous êtes chez vous, et seul.
Enfreindre une de ces mesures vous condamne à la mesure supérieure, et pour finir à la prison. C’est le cas de deux No TAV, Luca et Giuliano, ayant rompu leur arrestation domiciliaire, et qui furent arrêtés à la frontière française début juillet. Nous profitons de cette publication pour leur dire que nous pensons à eux. Si vous voulez leur écrire un petit mot, voici leur adresse en prison :
Giuliano Borio, via Maria Adelaide Aglietta, 35
10151 Torino
Italie
Luca Germano, via Maria Adelaide Aglietta, 35
10151 Torino
Italie
- Depuis juillet dernier, vous refusez de vous plier au contrôle judiciaire auquel le tribunal de Turin vous a soumis. En quoi consistent ces mesures de contrôle et comment en êtes-vous arrivés à ce refus ?
- Tout a commencé par une action que nous avons faite le 25 septembre 2015 contre la Turkish Airlines, la compagnie aérienne turque, en solidarité avec les luttes en Turquie et la résistance au Kurdistan. C’était au moment où l’État turc reprenait la guerre sur son sol contre le peuple kurde, où l’accord et la complicité entre l’Europe et la Turquie étaient déjà en vigueur, suite au chantage humanitaire du président turc Erdogan sur la question de la gestion des flux de réfugiés et de migrants à sa frontière. En Europe, il régnait un silence presque total au sujet des actions de répression et de la véritable tentative de génocide de la part de la Turquie contre le peuple kurde. Face à cela, l’idée c’était de rompre un peu ce silence et de dénoncer ce que la Turquie d’Erdogan était en train de faire, c’est-à-dire une intervention armée contre ses propres citoyens. Donc on est allés au siège de la Turkish Airlines avec des drapeaux du Kurdistan et du PKK [1], on a occupé le bureau pendant quelques minutes, le temps de lire un communiqué qu’on a filmé et qu’on a ensuite fait circuler sur internet, puis notre cortège a rapidement traversé l’aéroport de Turin-Caselle, avec des banderoles, un mégaphone, des tracts… C’était une action somme toute tranquille et à visage découvert, mais le 21 juillet, donc presque un an après, avec une dizaine de camarades du Piémont – qui habitent le Val Susa, le Val Chisone, le Val Pellice, Cuneo et Turin – on a été inculpés de résistance, de violence privée et de violation de domicile, et on nous a notifié cette mesure de contrôle judiciaire : l’obligation de signer deux fois par jour au commissariat. Cela ne nous a pas tellement surpris, car ces restrictions ne sont malheureusement pas nouvelles dans le paysage judiciaire italien.
En effet, ces dernières années, surtout à partir de 2011-2012, c’est-à-dire au moment où la lutte dans le Val Susa devient un peu plus chaude, il y a eu en Italie une véritable explosion de ce type de restrictions, au début surtout dans le Piémont, car entre la vallée et Turin il y a eu davantage de conflits qu’ailleurs. Ce sont des mesures qui datent du code fasciste : sous Mussolini, tous ceux qui étaient connus comme opposants étaient envoyés en exil ou enfermés chez eux, ou encore conduits à la frontière. Il s’agit de mesures préventives, elles sont données avant le procès, dans l’attente du jugement. Donc en théorie tu es innocent, tu n’es pas encore jugé, mais jusqu’au procès tu subiras ce contrôle judiciaire. En général, il s’agit de peines de prison ou de mesures alternatives à l’incarcération comme l’arrestation domiciliaire, l’obligation de signer, de rester dans sa commune, et divers interdits de ce genre, et qui avant n’étaient donnés qu’aux personnes qui étaient en détention préventive.
Mais dernièrement ces mesures ont été utilisées pour tout et n’importe quoi, pour de tous petits délits, et à grande échelle. Jusqu’à maintenant, elles étaient utilisées pour des délits assez graves, parce que l’incarcération préventive et les mesures alternatives doivent être justifiées par trois facteurs : le risque de fuite, de falsification des preuves ou de réitération du délit, ce sont les seuls motifs pour lesquels un juge peut signer des ordonnances restrictives de liberté. Mais depuis qu’ils ont commencé à les utiliser contre les mouvements sociaux, leur utilisation s’est beaucoup étendue, y compris à des délits mineurs comme résistance, blocage de route, occupation, participation à une manifestation non autorisée, etc., c’est-à-dire tous les délits commis à l’intérieur des luttes sociales. Il s’agit clairement d’une stratégie de la part du parquet, particulièrement celui de Turin, pour trouver des manières de briser les luttes. Ils se sont demandés : « comment pouvons-nous frapper et affaiblir des mouvements auxquels participent des centaines et des centaines de personnes de tous les âges ? » Parce qu’il est évident que dans la situation politique en Italie en ce moment, ils ne peuvent pas se permettre de mettre en prison des milliers de personnes, à plus forte raison pour des délits si mineurs, et c’est pour ça qu’ils ont élaboré cette nouvelle stratégie.
Par exemple, dans le val Susa mais pas seulement, ils utilisent très souvent le foglio di via contre les gens qui viennent d’ailleurs pour participer aux mobilisations. C’est une interdiction de territoire mais dont la violation ne constitue pas d’emblée un délit. C’est un peu différent des contrôles judiciaires parce qu’il s’agit d’une mesure de police, c’est-à-dire que ce n’est pas un juge qui la prononce mais simplement le Préfet, sans qu’il soit nécessaire d’être accusé de quoi que ce soit, c’est une décision purement administrative. Dans les autres cas, comme pour les centaines de procès qui se sont abattus sur le Val Susa, ce sont les contrôles judiciaires qui sont utilisés. Je suppose que c’est le résultat d’un raisonnement qui a eu lieu dans les hautes sphères du pouvoir pour trouver des modalités plus soft pour endiguer la lutte, en évitant les arrestations de masse qui auraient probablement exacerbé encore plus l’opposition et la conflictualité.
Mais au fil du temps, nous nous sommes rendu compte que de telles modalités ne sont soft que pour eux, et certainement pas pour nous : dans l’immédiat et individuellement, c’est sûr que c’est mieux d’être enfermé à la maison qu’en prison, mais dans l’ensemble, quand tu as des dizaines et même des centaines de camarades qui ne peuvent plus venir là où tu luttes, ou qui ne peuvent plus sortir de leur commune de résidence, qui ne peuvent plus aller ici ou là ou qui doivent aller signer tous les jours au commissariat, ça finit par entraver la poursuite des luttes voire les faire échouer… Dans notre cas, ils nous ont notifié l’obligation de signer deux fois par jour au commissariat de police le plus proche (proche, si l’on peut dire, parce que moi qui habite à Chiomonte je suis censé aller signer deux fois par jour à Bardonecchia, à 40 kilomètres de chez moi, et donc faire 160 kilomètres dans la journée, et passer la moitié de mon temps à aller et venir à travers le Val Susa, et pour certains d’entre nous c’est encore pire).
Cette forme de répression diffuse a sans aucun doute eu des conséquences sur le mouvement. Il y a vraiment des centaines et des centaines de personnes qui ont eu et qui ont des interdictions de ce genre, surtout des personnes de l’extérieur qui ne peuvent plus venir dans la vallée, c’est une véritable attaque visant la solidarité qui s’était créée avec le reste de l’Italie et au-delà. Les gens les plus actifs ont reçu une pluie d’interdictions, et aussi des gens de Turin ou de la province de Turin qui participaient assidûment aux actions du mouvement dans la vallée. Désormais plusieurs dizaines d’entre eux ne peuvent plus venir, ça dure six mois ou un an, puis la mesure tombe, mais une nouvelle vient la remplacer. Il y a encore beaucoup de gens qui ne peuvent pas aller dans les communes de Chiomonte et de Giaglione, là où se trouve le chantier du TAV. En gros tous ceux qui sont inculpés pour une manifestation au chantier subissent cette mesure-là. C’est quelque chose qui produit évidemment son effet, parce que ça parvient à rompre la continuité de l’intervention de nombreuses personnes dans les luttes et dans les territoires… C’est le cas en val Susa mais aussi plus largement : à Turin on ne compte plus les camarades qui ont des procédures de ce type, en définitive ça concerne pratiquement tous ceux qui participent aux luttes. Ce sont aussi des choses qui font perdre beaucoup de force et d’énergie, entre le fait de prendre des avocats, de récolter des fonds, de faire des recours, d’aller aux procès, de faire des campagnes contre la répression, à la fin quand le nombre de gens concernés augmente, ça oblige à dépenser beaucoup d’argent, d’énergie, de temps qui sont inévitablement soustraits à d’autres fronts. - Quelles ont été les réactions à cette multiplication des mesures restrictives ?
- Il y a deux mois, une douzaine de camarades turinois qui avaient eu des interdictions de territoire à Turin ont décidé de refuser de s’en aller. Cette interdiction était déjà hallucinante en soi, parce qu’ils vivaient à Turin, pour certains travaillaient à Turin, ils y avaient leur maison, et on leur impose de partir de leur propre ville, c’est un véritable exil, à part qu’ils ne te donnent même pas d’autre endroit où aller, tu dois partir d’un jour à l’autre de là où tu as ta maison, ta famille, ton travail...
Bref, il avaient donné ces mesures à ces douze camarades de Turin, et eux ils ont refusé de les respecter, ils l’ont déclaré publiquement au micro de radio Black Out [2], et ils ont ensuite fait une manifestation en ville pour dénoncer ça en déclarant qu’ils ne partiraient pas. L’idée de fond, qui dans ce cas s’est révélée victorieuse, c’était d’en finir avec l’acceptation passive de ces mesures de contrôle, et c’est ce qui se passe tant que tu les affrontes individuellement – parce que le problème c’est que quand une ou un camarade se fait arrêter, ça provoque de la rage, de la solidarité, des manifestations, etc., alors que quand il ne s’agit que d’une obligation de signer, c’est perçu comme quelque chose de léger, rien de grave en somme. Mais évidemment quand il se met à y en avoir des centaines ça change un peu les choses… Donc leur idée c’était de refuser de se soumettre à ces limitations de leur propre liberté en contraignant le parquet de Turin et les juges à prendre la responsabilité de les envoyer tous en prison. Dans ce cas il s’agissait d’une lutte contre les CRA (centres de rétention administrative pour les migrants), en particulier contre l’entreprise qui fournissait les repas (pleins d’asticots, etc.) aux migrants enfermés dans le CRA de Turin. Après leur refus, à l’audience de recours devant le juge des libertés, toutes les mesures ont été annulées.
Quelques jours plus tard, d’autres mesures sont tombées en Val Susa dans le cadre d’un procès contre plus de vingt camarades [3]. Ils sont inculpés dans une enquête qui concerne une manifestation dans la vallée devant les grilles du chantier de Chiomonte l’été dernier, beaucoup d’entre eux ont eu des mesures de contrôle judiciaire : des interdictions, des obligations de signer, des assignations à résidence, des arrestations domiciliaires. Là aussi, cette énième opération de police a suscité un refus : deux de ceux qui devaient se soumettre au régime de l’arrestation domiciliaire ont publiquement refusé de le faire pendant une assemblée dans la vallée. Ce sont Luca et Guiliano, et ils ont été arrêtés juste après. Il faut préciser que jusqu’à maintenant, dans le cas de Turin, il s’agissait d’interdictions de territoire, dont la violation n’entraîne pas directement l’incarcération, donc quand le tribunal de Turin a annulé leurs mesures il a tout annulé et basta, alors que dans le cas de Luca et Giuliano, qui avaient une arrestation domiciliaire, ils l’avaient à peine violée qu’un mandat d’arrestation était lancé contre eux, parce que la violation du domiciliaire constitue un délit d’évasion qui te coûte au minimum six mois de prison. Donc maintenant eux deux sont en prison à Turin pour six mois. D’autres, impliqués dans la même enquête, sont en train de refuser toutes les restrictions (par exemple quand tu es assigné à résidence tu peux avoir l’interdiction de communiquer, de recevoir des visites, de téléphoner… certains par exemple annoncent qu’ils ne respecteront pas cette interdiction, donc il y a aussi différents degrés de réponse selon les différents facteurs, les sensibilités, les possibilités, les choix individuels). Puis il y a Nicoletta, à Bussoleno, toujours dans la même enquête, qui a refusé l’obligation de signer tous les jours, maintenant ça a été aggravé en assignation à résidence, donc elle n’a pas le droit de sortir de la commune de Bussoleno, et elle doit rester à la maison de 18 heures à 8 heures ; elle refuse ça aussi et elle a déjà dit qu’elle ne respecterait pas l’arrestation domiciliaire, on verra ce qui se passera…
Juste après il y a eu notre cas, tout ça en l’espace d’un mois et demi, donc c’est quelque chose de très récent et en évolution, ce n’est pas encore bien clair, c’est un élément à considérer : pour le parquet de Turin aussi et pour la jurisprudence italienne en général c’est une chose assez nouvelle, même les avocats disent que c’est un peu une terra incognita parce qu’il n’y a pas beaucoup de précédents légaux.
Donc nous aussi on a refusé de respecter les mesures qui nous sont imposées pour l’action contre la Turkish Airlines, pas tous pour le moment, car sur les dix que nous sommes dans cette enquête un se trouve déjà en prison, c’est Giuliano, incarcéré pour la manifestation No TAV et qui maintenant a ça en plus, une camarade à qui ça n’a pas été notifié parce qu’ils ne l’ont pas encore trouvée, trois qui signent et nous, les cinq autres, nous refusons d’aller signer. L’élément important à souligner c’est que ce choix a été débattu et pris dans une réunion que nous avons faite ensemble, tous les dix, et durant laquelle nous étions tous d’accord sur l’importance de lutter contre ces mesures, mais en ce moment pour des raisons personnelles, professionnelles ou autres, certains ont préféré aller signer, mais il n’y a aucune séparation ou divergence de vue. C’est important et ça a été aussi la position qu’a prise le mouvement No TAV, celle de soutenir collectivement tous les choix individuels qui sont faits pour s’opposer à cette répression, sans donner une ligne de conduite en disant « tout le monde doit faire comme ci ou comme ça », parce qu’il y a des situations différentes, et aussi des gens très âgés ou qui ont des enfants, ou seulement une sensibilité différente qui fait que tous ne choisiront peut-être pas d’aller en prison mais participeront et soutiendront quand même la lutte sous d’autres formes, ce n’est pas un problème et surtout ça ne doit pas être source de division, au contraire.
En ce qui nous concerne, en ce moment nous sommes un peu dans l’attente, le 2 septembre il y aura le réexamen de notre contrôle judiciaire et on verra : pour le moment on a choisi non seulement de ne pas respecter les signatures mais aussi de ne pas attendre qu’ils nous notifient les aggravations qui tomberont inévitablement, en s’arrangeant pour que la police ne nous trouve pas au moins jusqu’au réexamen, pour éviter d’arriver à l’audience avec un mandat d’arrestation pour évasion. Le 2 septembre on verra : ils peuvent tout annuler ou confirmer les mesures aggravées que de toute façon nous avons déjà décidé de ne pas accepter, et la conséquence dans ce cas ce sera la prison. On a fait ce choix parce qu’on pense qu’il est temps de dire basta, en acceptant avec sérénité les conséquences que ça comportera, y compris la prison, non pas parce qu’on aime jouer les martyrs, mais parce qu’on pense que face à cette utilisation à la légère des mesures restrictives, le moyen le plus efficace pour empêcher que ça ne devienne la norme c’est de dire : « nous n’acceptons pas de nous auto-infliger des limitations de notre liberté, vous devrez le faire vous-mêmes et vous devrez prendre la responsabilité de le faire, en nous mettant tous en prison avec toutes les conséquences que ça peut provoquer hors mais aussi à l’intérieur des prisons ; pour nous ce n’est pas un problème, nous continuerons à nous battre partout où nous serons ». Évidemment, ce sera d’autant plus efficace que beaucoup de gens décident de le faire et de le soutenir : si ce refus prend des proportions importantes, je ne dis pas de masse mais qu’il concerne des dizaines et des dizaines de camarades, je crois vraiment que nous réussirons à leur créer un problème tel que ça les obligera à changer de stratégie. - Tu as parlé de 2012 comme du début de la multiplication de ces contrôles, tu peux nous expliquer un peu plus en détail pourquoi, et pourquoi c’est parti de la lutte No TAV ?
- En Val Susa, à la suite de l’expulsion de la Libre République de la Maddalena, de la journée de lutte du 3 juillet 2011 au chantier de Chiomonte, et puis de toutes les actions qui se sont faites soit autour du chantier soit dans la vallée, les blocages d’autoroute après l’expulsion de la baita et la chute de Luca du pylône [cf. chronologie], il s’est passé à peu près trois ans de lutte très intense - avec des hauts et des bas, bien sûr - qui ont amené inévitablement à commettre beaucoup de délits à un niveau massif : blocages de routes, de lignes de chemin de fer, manifestations plus ou moins nocturnes au chantier, actions et attaques par-ci par-là pour s’opposer à ce qui était de plus en plus défini comme une occupation militaire de la vallée, et des centaines et parfois des milliers de personnes ont participé à ces actions.
Suite à ça, il y a eu des enquêtes plus spécifiques, comme celle pour le 3 juillet ou celle contre les camarades accusés de l’attaque au chantier avec l’inculpation initiale de terrorisme, mais à part ces enquêtes plus traditionnelles si l’on peut dire, il y a eu une véritable explosion des inculpations contre les activistes No TAV, qu’on pourrait définir comme une inculpation de masse. Désormais, au tribunal de Turin, il y a une équipe de magistrats qui travaille exclusivement sur le mouvement No TAV, en plus évidemment de la division de la DIGOS [4]. Pour donner une idée des chiffres, de 2011 à aujourd’hui il y a eu plus de mille procédures de ce type, en comptant les contrôles judiciaires et les mesures administratives, c’est une chose qui ne s’était jamais vue en Italie. Au début c’étaient surtout des mesures administratives, comme les fogli di via ou les amendes, et puis s’y sont ajoutés les contrôles judiciaires dont nous avons parlé, avec des restrictions en l’attente d’un procès pénal.
Quand ils ont vu que l’arrestation de certains activistes et même l’accusation de terrorisme n’avaient pas réussi à diviser le mouvement ni à effrayer la population, et que ça avait au contraire provoqué une réaction de solidarité qui ne s’était jamais vue sous ces formes en Italie, ils ont essayé d’effrayer les gens avec la menace de leur prendre leur salaire, leur retraite, leur maison ; ils ont vu que les gens n’avaient pas peur de recevoir des coups, des inculpations, ou même d’être arrêtés, alors ils ont essayé autrement. C’est quelque chose qui a été expérimenté dans les années précédentes au pays basque, et ça a donné des résultats, parce que si chaque fois que tu descends dans la rue tu prends mille euros d’amende, tu commences à y réfléchir à deux fois, surtout dans une lutte populaire. Dans un environnement strictement militant ça fonctionne moins bien, parce que beaucoup de gens ne possèdent rien ou qu’ils élaborent des stratégies défensives, mais pour quelqu’un qui a travaillé toute sa vie pour se payer son crédit ou sa retraite, l’idée que l’État arrive et te les prenne ça te fait évidemment péter les plombs, bien plus que les coups de matraque ou que quelques jours de prison. Mais en Val Susa il y a eu une réponse surprenante à cette stratégie des amendes, avec des récoltes de fonds lancées dans la vallée mais aussi dans l’Italie toute entière, qui ont recueilli des centaines de milliers d’euros, c’est une démonstration de solidarité qui a assurément donné de la force, on ne peut pas dire que ça ait réduit à néant toute la tentative d’intimidation, mais ça a démontré une capacité de riposte à un niveau large et populaire, et ce n’est pas rien.
Cette dimension massive de l’illégalité du mouvement No TAV a été à la base de ce processus répressif, mais la situation turinoise aussi, parce qu’il y a eu là-bas ces dernières années un accroissement des luttes, que ce soient les luttes contres les expulsions locatives, contre les expulsions des migrants et les centres de rétention, les luttes dans les quartiers, mais aussi les luttes étudiantes avec des manifestations qui se terminent en affrontements avec la police, les luttes contre les fascistes à l’université, etc., bref ce sont contre toutes ces luttes que ces formes répressives se sont expérimentées largement. Turin et sa province sont devenues un laboratoire des formes répressives qui vont se répandre dans le reste de la péninsule, et c’est aussi pour ça que c’est si important de s’y opposer ici et de le faire maintenant, pour ne pas permettre que ça devienne la norme, parce que si ça passe sans rencontrer de résistance ce sera un précédent grave pour toutes les luttes, y compris ailleurs, y compris futures.
Comme je le disais avant, cette expérimentation a commencé dans le Val Susa – et précisons qu’avant cela ça a été testé sur les supporters de foot - mais désormais c’est quelque chose de rôdé, d’expérimenté, et maintenant c’est appliqué à plus grande échelle dans différentes situations de lutte et de conflits, la nôtre est une de celles-ci, mais il y en a beaucoup d’autres. À Rome, par exemple, ils ont donné des mesures de ce genre pour des contestations contre la Lega Nord [5], à Bologne aussi il y a eu des interdictions pour des luttes étudiantes, la même chose arrive à Vintimille dans les luttes autour de la frontière, ou en Sardaigne dans les batailles antimilitaristes, désormais c’est quelque chose qui se répand. Au niveau européen aussi cette utilisation des sanctions administratives contre les mouvements est un peu une tendance, en France avec l’état d’urgence il se passe quelque chose d’assez similaire. Évidemment, dans les périodes où les mouvements prennent de l’ampleur ou élaborent de nouvelles formes d’action, en face ils s’adaptent aussi, ils étudient leurs tactiques et jouent leurs cartes, c’est pour ça qu’il est important d’élaborer et de mettre en place, le plus collectivement possible, des réponses à la hauteur de la situation, sans attendre d’être complètement bloqués, sinon peut-être qu’il sera un peu trop tard.
En tout cas je crois que c’est une occasion intéressante pour nous, une occasion de tester notre capacité à construire une solidarité qui aille au-delà des cas particuliers. D’une certaine manière ils nous ont donné l’opportunité de lier les différentes luttes, de rompre un peu ce morcellement entre les luttes qui se répercute souvent sur la manière d’affronter la répression, dans ce cas peut-être qu’ils nous offrent des possibilités supplémentaires pour réagir à la répression en relançant une solidarité qui dans la pratique renforce les liens, en tout cas c’est notre idée, et si on réussit à faire en sorte que les différentes luttes et les différentes composantes internes aux mouvements de lutte s’unissent pour faire face aux attaques répressives, nous pourrons non seulement trouver des ripostes immédiates vraiment efficaces, mais aussi et surtout nous renforcer, tisser de nouveaux liens. De cette manière, non seulement nous aurons réussi à répondre à une attaque, mais nous aurons su la renverser, la retourner contre eux, en la transformant en une occasion d’acquérir de la force et d’augmenter la prise de conscience, je crois que ça doit être la perspective, la manière – un peu souple – d’affronter les attaques que l’on subit. - Tu peux raconter, à travers ton expérience, comment est né votre lien avec le Kurdistan ? Comment as-tu commencé à t’y intéresser, à être sensible à la cause kurde, et sous quelle forme vous avez transmis votre expérience dans le Val Susa et dans le mouvement No TAV ?
- Avec quelques amis et camarades, avec lesquels nous nous organisons dans les Alpes occidentales, nous avons commencé à nous intéresser à la lutte au Kurdistan il y a quelques années, je dirais vers 2008, puis nous y avons fait des voyages soit ensemble, soit chacun de son côté. L’année dernière j’y suis resté quelques mois, pour apprendre un peu la langue kurmanji. Cet intérêt est né de la curiosité et de la volonté de connaître directement ce qu’on pourrait définir comme la dernière guérilla populaire géographiquement proche de nous, héritière des luttes de libération anti-coloniales. En même temps, on était très intrigués par l’évolution du mouvement de libération kurde, en particulier par le fait qu’un mouvement né avec un objectif classique de libération nationale, dans une démarche de parti marxiste-léniniste visant à prendre le pouvoir et à construire un nouvel état kurde indépendant et socialiste, ait changé de stratégie, à travers l’élaboration théorique d’Öcalan et le long débat qu’il y a eu à l’intérieur du PKK et dans la société kurde, et que ce mouvement vise aujourd’hui à la construction de ce qu’ils appellent le confédéralisme démocratique, c’est-à-dire une confédération de peuples et de communautés, et pas d’états-nations. Ce renversement de perspective, qui renonce à l’état-nation identifié comme la cause principale des désastres du Moyen-Orient et plus généralement de notre époque, a abouti à l’idée de la construction d’un auto-gouvernement « de la base », à partir des territoires, des communautés locales, en préservant toutes les spécificités ethniques, religieuses et linguistiques des peuples qui vivent ensemble en Mésopotamie et au Moyen-Orient.
Cette idée d’auto-gouvernement des communautés territoriales qui se passe de l’état central nous intéressait non pas comme une perspective lointaine et exotique, mais comme quelque chose dont nous nous sentions proches et que nous partagions, parce que ça fait aussi partie de notre histoire, l’histoire des Alpes ne peut pas être séparée de celle de la résistance des communautés locales, avec leurs langues et leurs usages, contre les tentatives continuelles d’assimilation et de prise de contrôle de la part des pouvoirs centraux (la lutte No TAV aussi, d’une certaine manière, fait partie de ce conflit millénaire, en tout cas j’en ai cette lecture). C’est une histoire cachée, que nous cherchons à notre échelle à redécouvrir, et le fait de retrouver ailleurs, chez des peuples différents qui ont des histoires différentes, des expériences et des perspectives similaires, c’est pour nous une situation extrêmement intéressante avec laquelle se confronter, pour tout un tas de raisons.
Cela nous a poussés à voyager, à connaître de plus près la lutte au Kurdistan et avec le temps ça nous a passionnés, et plus la connaissance s’approfondissait, plus s’approfondissait un lien très fort, un lien non seulement politique mais aussi humain. Quand on est rentrés, on a cherché à ramener avec nous un peu de ce qu’on avait appris au Kurdistan, à restituer dans les lieux où l’on vit un peu de la force et de la passion qui nous avaient traversés. Nous avons fait des publications, des vidéos, beaucoup de tournées de rencontres, etc., et je dois dire que l’intérêt pour ce sujet a beaucoup augmenté, surtout à la suite de la guerre en Syrie, au Rojava, à Kobane, suite à l’avancée de l’état islamique et à l’attention médiatique pour la situation au Moyen-Orient.
En Val Susa aussi, comme ailleurs, nous avons organisé différentes initiatives qui ont rencontré beaucoup d’intérêt. Juste pour citer un exemple, je me rappelle d’une des premières fois, en 2012, quand on a projeté pendant le camping No TAV à Chiomonte une vidéo sur un Newroz [le nouvel an kurde qui se déroule le 21 mars] dans le Kurdistan turc, dans laquelle on voyait des scènes de répression qui ont immédiatement rappelé au public la répression vécue dans le Val Susa à la même période : les lacrymogènes, les coups, les matraquages de femmes et d’enfants, les flics qui défoncent les portes des maisons… C’est sûr que le niveau de violence déployé par l’état turc n’est pas comparable à celui du Val Susa à l’époque, mais ces images avaient quelque chose de familier, et elles ont déchaîné un sentiment de sympathie, d’empathie immédiate, viscérale (à tel point que les No TAV ont inventé les expressions Valsusistan ou Kiomontistan pour définir Chiomonte militarisé).
À un moment, sur la vidéo, on voit deux flics en civil qui se filment en souriant alors qu’ils cassent les bras d’un petit garçon bâillonné d’environ douze ans ; quand nous avons raconté que suite à cela un commando de femmes du PKK avait retrouvé et exécuté ces deux flics, une ovation est montée du public, et les vieilles dames de la vallée ne s’arrêtaient plus d’applaudir.
Dernièrement il y a eu une augmentation des projets de solidarité, il y a aussi eu une mairie, San Didero, qui est une commune ouvertement No TAV, qui a conclu un jumelage avec Kobane. Puis, l’été dernier, il y a eu la reprise de la guerre au Kurdistan turc, avec la rupture de la trêve entre l’état turc et le PKK et la reprise des bombardements, que ce soit sur les bases du PKK en territoire irakien ou sur les villages kurdes en Turquie : villages assiégés, incendiés, massacres de civils... C’est pour toutes ces raisons qu’on a décidé d’aller à la Turkish Airlines. En plus nous avons créé des rapports d’amitié au-delà de la solidarité avec beaucoup de Kurdes qui sont là-bas ou qui font des allers-retours entre l’Europe et le Kurdistan. Personnellement, j’étais rentré depuis à peine deux mois quand ils ont commencé à bombarder les positions en Irak, y compris l’école où j’avais été, j’ai appris d’ici la mort de plusieurs camarades avec qui j’avais passé ces quelques mois… Bref, on s’est senti un peu en devoir, si on veut, de faire quelque chose, de ne pas rester à regarder, on a ressenti le besoin de faire quelque chose en plus des différentes initiatives d’information que nous faisons habituellement pour soutenir et faire connaître la révolution au Kurdistan. La moindre des choses c’était de faire une action, même petite comme l’irruption qu’on a faite à la Turkish Airlines, parce que c’est vraiment le minimum d’entrer dans leurs sièges et de dire : « c’est la Turquie qui se comporte en terroriste et certainement pas les partisans du PKK », de faire savoir aux camarades qui là-bas continuent à résister, à combattre et à mourir par dizaines chaque jour, qu’ils ne sont pas seuls, que même dans cette Europe infecte et complice de l’état turc il y a des gens qui sont de leur côté… C’était ça le sentiment à la base de cette action. - Pour revenir aux contrôles judiciaires, comment tu penses que la situation évoluera prochainement, pendant et après votre recours ?
- D’abord il faut dire que nous avons eu ces mesures fin juillet, puis nous, ceux qui avaient décidé de ne pas aller signer, on s’est un peu esquivés, disons-le comme ça, pour éviter l’aggravation, donc je ne peux pas parler en témoin direct parce que nous n’avons plus pu rester chez nous. Mais nous savons que les camarades ont fait un nouveau rassemblement à la Turkish Airlines le 2 août, malgré la période de l’année qui n’est pas des meilleures. Ils nous ont donné ces mesures fin juillet, juste avant la fermeture estivale des tribunaux, et selon certains ce n’est pas un hasard, car normalement le recours a lieu environ une semaine après la notification, comme dans le cas des Turinois dont je parlais avant. Là, le tribunal est fermé tout le mois d’août donc toutes les affaires sont renvoyées en septembre. Et en plus août n’est pas un mois favorable pour organiser des manifestations, il reste très peu de gens à Turin. Malgré tout il y a eu du monde à la manifestation que les camarades ont organisée devant la Turkish Airlines, y compris des gens de la communauté kurde de Turin, et ça a aussi été un moyen d’insister sur la dénonciation de ce qui est en train de se passer en Turquie, parce que notre idée c’est d’avancer sur les deux questions parallèlement : l’opposition à ces mesures restrictives et à la raison pour laquelle ces mesures nous ont été données, c’est-à-dire pour avoir attaqué les intérêts turcs en Europe, et c’est plus actuel que jamais… Une autre chose à souligner c’est qu’ils nous ont notifié ces mesures justement la semaine pendant laquelle les purges et les arrestations de masse se répandaient en Turquie à la suite de la tentative de coup d’état des militaires. Aujourd’hui, en Turquie, il y a des dizaines de milliers d’arrestations, une répression de masse sans précédent, donc les motifs qui nous ont amenés à investir la Turkish Airlines sont plus vifs que jamais. Ça aussi c’est une des raisons qui nous a poussés à refuser d’obéir aux restrictions qu’ils nous ont données, explicitement émises pour nous empêcher de réitérer des délits similaires : nous n’avons aucune intention de renoncer à exprimer notre solidarité envers ceux qui résistent en Turquie et au Kurdistan justement au moment où il y en a le plus besoin.
Le 2 septembre il y aura donc le recours, et ce sera certainement une occasion de mobilisation, même si je ne peux rien dire de précis parce que nous n’avons pas encore eu la possibilité de nous rencontrer tous ensemble pour décider quoi faire, mais très certainement ou on ira au tribunal ou on retournera à la Turkish Airlines, ou les deux, ou autre chose, je ne sais pas, mais de toute façon on relancera la mobilisation, y compris dans la rue, et en maintenant ensemble les deux plans dont je parlais.
Nous avons aussi appris qu’une campagne vient d’être lancée depuis le Val Susa, « je suis avec ceux qui résistent » [#iostoconchiresiste], c’est une campagne de soutien à tous ceux qui ont opposé un refus à la répression du parquet de Turin. C’est une initiative importante, même si elle vient juste d’être lancée et que de loin évidemment c’est difficile de prendre le pouls de la situation, mais ça contribue à nous donner de la force pour continuer et de l’espoir quant à l’issue de cette bataille.
En ce qui concerne notre situation, la perspective la plus probable c’est l’aggravation des mesures, et in fine la prison. Commencer une bataille comme celle-là signifie pour le moins être prêt à en arriver là, ne pas avoir de problème avec le fait d’aller jusque là. C’est sûr que si on n’est en tout que quatre ou cinq à le faire ce ne sera pas aussi efficace, mais c’est indispensable de commencer, c’est important d’affirmer que la prison ne nous fait pas peur, si on finit en prison on continuera la lutte dedans, nous avons beaucoup d’exemples qui démontrent que non seulement ce n’est pas un problème mais que la prison est un terrain de lutte fondamental. C’est sans aucun doute un des enseignements que nous ont appris les Kurdes, pour revenir à eux ; ils soulignent toujours le fait que la prison a été le cœur de leur lutte, la résistance en prison de leurs camarades au début des années 1980 a été le détonateur de toute leur lutte, non seulement à cause du courage et de la force de leurs prisonniers qui se sont battus jusqu’au martyr dans des conditions inhumaines, mais aussi pour avoir su transformer les prisons en véritables académies de la révolution dans lesquelles se sont formées des générations entières de nouveaux militants. Cela nous enseigne que la prison n’est pas forcément un lieu qui brise les luttes, au contraire, toutes les luttes des prisonniers en Turquie, et pas seulement kurdes, l’ont démontré, et ce qui m’a le plus touché et que nous ont toujours répété les gens qui ont subi vingt ou trente ans d’incarcération et de torture dans les prisons turques, c’est qu’il ne faut pas avoir peur, parce que dehors tu n’es pas forcément plus libre que dedans, tout dépend de comment tu vis l’enfermement, de l’état d’esprit avec lequel tu l’affrontes, et que la liberté dépend de la force avec laquelle on sait se confronter à ce qui nous entoure, et pas de la quantité d’espace qu’on a à disposition. On peut être beaucoup plus libre dans une grotte de montagne ou une cellule de prison que dans une métropole ou un centre commercial.
La prison, dans notre société, est l’ultime menace brandie par l’État. Réussir à briser la capacité d’intimidation de la prison peut donc devenir quelque chose d’explosif, ce ne sera pas facile, c’est sûr, et ce n’est évidemment pas nous qui allons le faire tout seuls, mais l’idée c’est de faire un pas dans cette direction, et même si aujourd’hui nous sommes peu nombreux, quelqu’un doit commencer, comme toujours… Nous, simplement, nous faisons notre part…
[1] Parti des Travailleurs du Kurdistan fondé en 1978 et dirigé par Abdullah Öcalan, emprisonné par la Turquie depuis 1999. Le PKK est en guerre contre l’état turc pour l’autodétermination du Kurdistan.
[2] Radio Black-out est une radio militante turinoise.
[3] Voir à ce sujet l’entretien de Nicoletta, une No TAV ayant refusé ce
contrôle judiciaire, publié dans la brochure n°11.
[4] Acronyme de Divisione Investigazioni Generali e Operazioni Speciali. Police politique créée en 1978, pendant les « années de plomb », sorte d’hybridation monstrueuse entre les RG et la BAC, est chargée de la surveillance et de la collecte d’informations pour la « prévention » des délits ou troubles de l’ordre public.
[5] La Ligue du Nord (en italien : Lega Nord per l’indipendenza della Padania) est un parti politique italien régionaliste, populiste et xénophobe.