Ce matin ma maison a été perquisitionnée pour une manifestation que nous avions faite contre le chantier du TAV. Désormais j’ai l’obligation d’aller signer chaque jour chez les carabiniers de Susa. Alors, que ce soit clair, moi je n’accepte pas d’aller chaque jour demander pardon aux carabiniers, je n’accepterai pas que ma maison devienne ma prison, et par conséquent, c’est eux qui décideront. Notre lutte est tellement forte, nous luttons pour le droit de tous à vivre et à vivre bien, on ne lutte pas seulement pour notre vallée mais pour un monde plus juste et vivable pour tous. Donc, au regard de cela, nous n’avons pas peur, on ne s’agenouille devant personne, et donc, moi, signer, je n’y vais pas, et je resterai encore moins enfermée à la maison à attendre qu’ils viennent contrôler si j’y suis ou si je n’y suis pas. Nous sommes nés libres, libres nous restons. Libres et égaux.
Ainsi parle Nicoletta au lendemain d’une énième attaque judiciaire contre le mouvement No TAV. À l’aube du 21 juin dernier, 23 personnes se voient imposer des mesures allant de l’obligation quotidienne d’aller signer au commissariat à l’emprisonnement. Certains sont valsusains, d’autres non. Certains sont jeunes, d’autres non. Tous sont accusés d’avoir participé à la manifestation du 28 juin 2015 durant laquelle un morceau des grilles du chantier du TAV avait été arraché. Ce jour-là, 5000 personnes avaient marché vers le fortin malgré l’interdiction de la Préfecture. Un an plus tard, la répression tente de laver l’affront qu’avait constitué cette journée. Mais parmi ces 23 No TAV, certains ont décidé de refuser les restrictions auxquelles ils sont condamnés. Parmi eux, Gianluca, militant turinois assigné à résidence, qui a trouvé refuge à la Credenza, le bar-pizzeria de Bussoleno, siège depuis lors d’un presidio permanent dans l’attente de la police. Puis Giuliano, qui a déclaré publiquement qu’il ne se plierait pas à ces privations de liberté. Et Nicoletta, 70 ans, professeure de lettres classiques à la retraite. Voici des extraits du texte qu’elle a lu lors de la conférence de presse du 27 juin 2016 :
J’ai mis ma vie en jeu dans cette lutte et pas en vain, parce que j’ai pu partager le prodige d’une collectivité qui se reconstruisait, en partant d’histoires et d’expériences diverses se rejoignant dans une pratique concrète, généreuse et limpide, attentive à l’existence de chacun et au futur de tous, y compris de ceux qui viendront après nous.
C’est cela le lien profond qui nous a unis au fil des ans et qui a consolidé les liens autour de nous, antidote puissant à la société du jetable, au pouvoir qui fait de la guerre entre pauvres le piédestal de sa propre domination. [...]
C’est cet esprit de fraternité qui nous a toujours soutenus, dans les jours et les nuits passés à défendre le territoire contre l’implantation du chantier du TAV, à faire obstacle de nos corps au contingent des pelleteuses et aux hommes en armes qui venaient imposer avec violence ce que le peuple refusait.
C’est encore le sens de la fraternité qui a donné vie à la Libre République de la Maddalena et qui nous a permis d’affronter la répression la tête haute, sur les lieux de la lutte, dans les bunkers des tribunaux, dans les prisons où ont été enfermés nos enfants.
Fraternité non seulement avec les êtres humains, mais aussi avec tous les êtres vivants, les grands châtaigniers séculaires déracinés pour faire place au béton, les animaux des bois privés d’accès à l’eau, chassés au loin par l’éternel jour électrique des chantiers.
Fraternité qui nous fait éprouver rage et peine face aux ouvriers qui chaque jour entrent la tête basse dans le tunnel exploratoire de la Clarea, pour respirer quotidiennement l’uranium et l’amiante. […]
Ces trente années je les ai partagées activement jour après jour et j’en revendique chaque minute, chaque étape, comme un trésor inestimable d’expériences, de culture, d’affection, de solidarité qui m’ont permis de « vivre en ce monde non comme un locataire ou un touriste, mais comme dans la maison de mon père et de ma mère ».
J’étais présente aussi à la marche du 28 juin de l’année dernière d’Exilles à Chiomonte, pour nous rappeler la Libre République de la Maddalena et réaffirmer l’inépuisée volonté de libération. Une grande journée populaire, un gigantesque serpent coloré et joyeux de tous les âges, interrompu à un certain point par des barrières infranchissables et inacceptables, empoisonné par la fumée des lacrymogènes.
De ce jour je revendique chaque pas et chaque action, comme mon droit et mon devoir de résistance.
Pour cette raison je refuse les mesures restrictives qui m’ont été ou me seront imposées : je n’accepte pas de faire acte de sujétion avec la signature quotidienne, je n’accepterai pas de transformer les lieux de ma vie en assignation à résidence ni ma maison en prison ; je ne serai pas ma propre geôlière.
Je sens avec moi les raisons et la force collective des opprimés, ceux qui n’ont rien d’autre à perdre que leurs propres chaînes, mais qui ont un monde entier à conquérir.
Nicoletta est, à n’en point douter, un des personnages marquants de la vallée. Nous l’avons interviewée à plusieurs reprises en 2014, 2015 et 2016, toujours à la Credenza, bastion du mouvement et symbole de son ouverture aux luttes du monde entier.
Nicoletta doit faire partie d’une délégation de No TAV invitée à la zad de Notre-Dame-des-Landes le 10 juillet 2016. À ce jour, nous ne savons pas encore si elle parviendra à venir. À l’heure où certains prétendent péremptoirement l’astreindre à résidence, nous prenons donc les devants en faisant passer la frontière à quelques-unes de ses paroles, mais aussi nous l’espérons, à sa rigueur et à son enthousiasme. Des mots sans concessions qui ne peuvent que nous inspirer, à l’heure où nous faisons face ici, depuis l’état d’urgence, à la multiplication et à la banalisation des assignations à résidence.
[1] Il n’y a pas de traduction satisfaisante pour cette expression. Une « réalité » n’est ni tout à fait une position politique, ni une idéologie, ni un groupe défini, ce n’est pas simplement une composante de la lutte, mais sans doute un peu de tout cela à la fois.
[2] Association environnementale officielle reconnue par le ministère italien de l’Environnement.
[3] La Communauté de Montagne est une entité de droit public italien, instituée par la région à laquelle elle appartient. Elle regroupe des communes situées en zone de montagne et de prémontagne. Elle peut, pour certains aspects, s’apparenter aux communautés de communes du droit français.
[4] Parti né en 1991 à la suite du « tournant de Bologne », où la direction du Parti Communiste Italien choisit de faire disparaître le terme « communiste », dans son intitulé, de renoncer aux symboles de la faucille et du marteau, pour entrer ouvertement dans la social-démocratie. Naissait alors le Partito Democratico della Sinistra, qui deviendra, après plusieurs péripéties, l’actuel Partito democratico, fondé en 2007.
[5] Askatasuna est un centre social turinois, mais aussi un groupe politique à l’échelle nationale, qui s’inscrit dans la continuité de l’autonomie ouvrière.
[6] Le comité Habitat, créé en 1991, va être le premier à s’opposer au TAV. Il est issu en grande partie d’un groupe antimilitariste non-violent de Condove dénonçant l’usine d’armement installée dans ce village. C’est lui qui va organiser des réunions, des soirées informatives, où seront détaillés les conséquences environnementales et sociales de la construction de la ligne, les problèmes de faisabilité et les irrégularités.
[7] À Venaus, selon le premier projet, devait commencer les travaux du tunnel exploratoire, actuellement foré à la Maddalena.
[8] Acronyme de Divisione Investigazioni Generali e Operazioni Speciali. Police politique créée en 1978, pendant les « années de plomb », sorte d’hybridation monstrueuse entre les RG et la BAC, est chargée de la surveillance et de la collecte d’informations pour la « prévention » des délits ou troubles de l’ordre public.
[9] Le MUOS (Mobile User Objective System) est un projet de la Marine de l’armée des USA, visant à assurer les télécommunications entre les unités mobiles légères (par exemple, soldats sur le terrain ou drones). Un des sites prévu pour l’implantation de ces antennes géantes est proche de Niscemi, en Sicile. Les habitants manifestent depuis 2011 leur opposition au projet.