À l’hiver 2010-2011, les occupants [1] de la zad [2] lancent des tournées d’information dans une ribambelle de collectifs, squats urbains et autres espaces autogérés, en vue d’agréger des forces. La rencontre avec des protagonistes du réseau Reclaim the fields [3] est féconde : certains d’entre eux cherchent à lancer une campagne d’occupations de terre par des paysans en devenir et sont séduits par les potentiels de la zad. De leur côté, des occupants veulent maintenant assumer très publiquement et collectivement le fait de squatter comme un geste fort dans la lutte et cherchent à créer des ponts avec les agriculteurs locaux. Un groupe se forme donc, qui invite à venir manifester « fourche en main » pour installer le projet maraîcher du Sabot. En mai 2011, un millier de personnes répondent à l’appel, défilent sur la zone et défrichent une parcelle d’un hectare. Conjointement, avec la boulangerie voisine du collectif des Cent Chênes, le Sabot invite les habitants de la zad et du coin à passer deux fois par semaine pour prendre du pain et des légumes et pour se rencontrer autour d’un verre.
L’été suivant, des activistes héritiers du mouvement des contre-sommets, cherchant à dépasser leur mode d’action spectaculaire et déraciné, décident de ne pas se rendre à Deauville pour le G8, ni à Nice pour le G20, mais d’aller plutôt renforcer une lutte locale avec un camp « No-G » sur la zad. Quelques dizaines de participants choisissent de rester vivre sur place après l’événement et de se lier durablement au mouvement.
Le premier janvier 2011, la mise en œuvre du projet d’aéroport a été accordée à l’entreprise Vinci via sa filiale Aéroport Grand Ouest (AGO). Avec la présence permanente des occupants, les sabotages et oppositions physiques se multiplient face aux travaux préliminaires et aux entreprises qui les portent. Une campagne d’action contre Vinci et ses sous-traitants est lancée en dehors de la zone. Les occupants et leurs amis, menace opaque et mouvante toujours prête à sortir du bois, prennent l’habitude de refuser de décliner leur identité lors des contrôles et arrestations par les gendarmes locaux. Avec parfois quelques pertes et un certain sens du fracas, ils mènent aussi des actions du côté de la métropole nantaise : attaque de la caravane d’info du PS [4] en pleine période électorale, occupation de l’aéroport Nantes-Atlantique ou des arbres du square Mercœur [5] en plein centre-ville… La stratégie de la confrontation ouverte avec les élus locaux, initiée par les « Habitants qui résistent », est en relative contradiction avec celle de l’ACIPA, qui parie plutôt sur la possibilité, avec le soutien des Verts, d’un retournement des positions au sein de la majorité de gauche à Nantes et au conseil régional. Un Collectif d’élus Doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (cédpa), né en 2009, s’emploie à faire entendre quelques voix dissidentes dans le champ politique institutionnel, où les appareils des partis majoritaires, de droite comme de gauche, font front commun pour plébisciter le projet.
Pendant toute cette période, les fouilles archéologiques, forages, enquêtes publiques et visites du juge des expropriations sont systématiquement contestés et parfois bloqués par des militants de l’ACIPA, des agriculteurs et des squatteurs [6]. Les méthodes des uns et des autres, plus ou moins virulentes, ne sont pas toujours les mêmes mais, à tâtons, des complémentarités se cherchent.
Dans la forêt avec Biotope
Parmi les oiseaux de mauvais augure qui rôdent autour de la zad et tentent de faire avancer le projet d’aéroport, les habitants du bocage voient apparaître une nouvelle espèce : les experts environnementaux, comme ceux de l’entreprise Biotope, mercenaires du greenwashing [7], à la solde de Vinci.
Au printemps 2012, des procès se succèdent contre les occupants et leurs habitats. L’État se prépare à intervenir et les campagnes médiatiques sur les « ultras » et « voyous » de la zad s’intensifient et cherchent à diviser, parfois avec l’appui de porte-parole des Verts pourtant officiellement engagés contre l’aéroport [8]. En parallèle, les pressions, mesures d’expropriation et offres financières se multiplient vis-à-vis des propriétaires, locataires ou paysans. Certains craquent et finissent par accepter l’expropriation, d’autres tiennent bon et refusent le chèque d’AGO.
En réponse, pour la première fois, une manifestation est organisée en commun entre occupants et associations. Le 24 mars 2012, plus de 10 000 personnes accompagnées de 200 tracteurs défilent dans Nantes, y amènent un peu du bocage et des litres de peinture pour redécorer les murs [9] Quelques semaines plus tard, des opposants, paysans de la zad, militants de l’ACIPA ou élus, entament une grève de la faim qui durera 28 jours, jusqu’à l’élection présidentielle [10] Ils arrachent au nouveau gouvernement l’engagement de ne pas expulser les habitants et paysans légaux avant l’écoulement d’un certain nombre de recours juridiques.
De leur côté, les squatteurs s’attendent depuis de nombreux mois à se faire chasser sans savoir exactement comment ils pourront résister. Des entraînements et outils se mettent pourtant en place pour le jour J : courses d’orientation, radio pirate, réseau de talkies-walkies, équipe médicale, lieux de repli, cantine… Et puis, un peu partout, des tracts et affiches donnent déjà depuis longtemps rendez-vous pour une date encore inconnue : quoi qu’il arrive, quatre semaines après le lancement des expulsions, il s’agira de réoccuper en nombre la Zone À Défendre. Le mouvement cherche ainsi à se donner un coup d’avance.
[1] Substantif souvent utilisé pour désigner les nouveaux habitants de la zad qui ont répondu à l’« Appel à occupation », plutôt que les termes « squatteuses » et « squatteurs », qui ont des connotations négatives pour une partie des composantes de l’opposition au projet. On notera que les termes « occupants » et « occupations » peuvent également être chargés négativement, c’est pourtant l’expression qui est restée.
[2] À partir du début du mouvement d’occupation nous écrivons « zad » en minuscules, parce qu’il ne s’agit pas simplement d’une Zone À Défendre contre un projet d’aménagement, et encore moins d’une Zone d’Aménagement Différé (cf. chapitre 4).
[3] Reclaim the fields est un réseau international regroupant des individus et collectifs désireux de favoriser la réappropriation des terres et la production agricole en dehors du système productiviste et capitaliste.
[4] Le projet d’aéroport est alors perçu comme le « bébé » de Jean-Marc Ayrault, maire PS de Nantes et futur Premier ministre, au point que l’on parle d’« ayraultport ».
[5] Parc alors menacé au centre-ville de Nantes, occupé le 2 septembre 2011 par des occupants de la zad, qui se feront rapidement et brutalement déloger des arbres où ils s’étaient perchés par le GIPN.
[6] Voir chapitre 3.
[7] « Éco-blanchiment » en français. Consiste pour une entreprise à orienter ses actions marketing et sa communication vers un positionnement écologique pour masquer son impact néfaste sur l’environnement.
[8] En septembre 2011, Jean-Philippe Magnen, dirigeant d’EELV 44, déclare : « C’est compliqué… On est démunis, ces ultras sont totalement autonomes, on ne sait pas comment les virer. » En 2012, François de Rugy, alors député EELV 44, enfonce le clou : « Les squats de maisons à NDDL ne servent pas la lutte des vrais opposants au projet d’aéroport que sont les agriculteurs, la population et les politiques. »
[9] Voir chapitre 3, « De la tractation à l’action ».
[10] Également dans le chapitre 3, « zad, actions conjuguées ».