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Lettre à V pour Vendetta

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Le Chœur ion du texte
présentation du texte  

Tant que la plèbe choisira ses héros parmi les hors-la-loi, nous saurons que l’esprit souffle encore dans l’époque.
Alèssi Dell’Umbria, R.I.P. Jacques Mesrine

ecila : Les récits, les fictions et les mythes sont peuplés de ces personnages qu’il est presque devenu inconvenant d’appeler « héros ». Car l’admiration, surtout lorsque l’on mêle fiction et politique, est sujette à caution. Admirer signifiait pourtant à l’origine « à regarder » (on disait aussi « se merveiller »…). « À regarder », voilà qui impose d’emblée une distance entre celui qui regarde et celui qui est regardé. Mais cette saine distance qui se nichait au cœur de la relation aux héros tend désormais à s’effacer ; nous voulons aujourd’hui être, être comme. Il n’est qu’à voir la file de postulants à la Nouvelle Star, incapables de jouir du talent des autres, désirant être ces autres. Alors qu’un héros est tel en tant qu’il est justement ce que nous ne sommes pas, qu’il est capable d’actes que nous ne pouvons ou ne désirons pas accomplir (que ce soient des hors-la-loi ou des sportifs). Peut-être cette confusion est-elle due au fait que la plupart des héros du Spectacle ne sont pas des personnages, mais des individus. On ne peut pas momentanément porter leurs masques, mais seulement tenter de prendre leurs places. L’explication se niche sans doute dans ce mensonge quotidien, voulant nous faire croire qu’un individu pourrait être un héros, et que par là même, nous serions tous des héros potentiels (ce qu’illustrait parfaitement « La nuit des héros », émission des années 90). Alors que – dans son sens plein – seul un personnage peut l’être. Cela ne signifie nullement qu’un individu ne puisse pas créer et endosser cet habit, mais ce n’est alors pas l’individu avec son histoire personnelle et ses états d’âme qui sera le héros (les sentiments des héros sont tout en extériorité, en actes), mais bien le personnage qu’il incarne, fût-ce dans la réalité. Les grands bandits en sont les exemples.

Naturellement, nous sommes attirés par les héros qui remettent en cause un ordre, tant est vraie la formule d’Henry Corbin : « les identités des figures sont dans leur fonction. » Qu’en est-il dans la décennie passée ? Ne reste-t-il que les héros-flics des séries télévisées ? Des figures ont-elles réussi à inspirer nos vies ? Il en est une qui a franchi ce pas, et sans doute n’est-ce pas la seule. V pour Vendetta a prêté son masque, déjà emprunté à des temps anciens, aux Anonymous, puis aux indignés. « Le masque est inséparable de son geste et de sa geste » écrivait Marcel Griaule. La geste de ce masque-là n’est pas restée attachée à un individu, c’est l’inverse : des êtres différents en ont composé les chapitres, et le livre n’est pas terminé. Si l’exploit d’un individu a créé le berceau du masque, le personnage qu’il représente évolue au gré de l’histoire qu’écrivent ceux qui s’en emparent.

Il y eut d’abord Guy Fawkes (le masque représente son visage), conspirateur anglais qui tenta d’incendier le Parlement le 5 novembre 1605, événement dont on se souvient au Royaume-Uni sous le nom de « Conspiration des Poudres » (et dont l’anniversaire est encore « commémoré »). Puis, dans les années 1980, une bande dessinée (1) anglo-saxonne habilla le visage de son héros anarchiste, V, du masque de Fawkes. V, lui aussi, veut faire sauter le Parlement, mais en 1997, au sein d’une Angleterre post-apocalyptique gouvernée par un parti fasciste. Et contrairement à Guy Fawkes, il y parviendra (c’est plus aisé dans une fiction…). En 2006, la bande dessinée est adaptée au cinéma par James MacTeigue, dans un film dont l’action se déroule en 2038. Alan Moore, l’un des auteurs de la B.D., a été fort mécontent de cette adaptation… Puis c’est en 2008 que le masque réapparaît, porté par les Anonymous. Avant que les Indignés ne s’en fassent – pour l’instant – les derniers porteurs. Si la geste d’un tel héros se compose des différents récits qui le portent au jour, le passage de V au cinéma a donné la sensation qu’une partie de cette geste était volontairement remisée en coulisse, remplacée par une petite histoire plus « cinégénique ». Une question s’est alors posée : les figures peuvent-elles survivre à leur « hollywoodisation » ? Voici, comme une première réponse, le fac-similé d’une lettre envoyée à V en 2006 par Alice et un de ses camarades, Johnny Pothèse (personnage que vous retrouverez dans la constellation « Intervenir »).


(1)V pour Vendetta, bande dessinée d’Alan Moore et David Lloyd, publiée en série de 1982 à 1990. Voici un résumé : Dans les années 80, une guerre mondiale éclate ; l’Europe, l’Afrique et les États-Unis sont réduits en cendres par des armes nucléaires. La Grande-Bretagne est épargnée par les bombardements mais pas par le chaos et les inondations issues des dérèglements climatiques. Un parti fasciste prend en main le pouvoir après avoir procédé à une épuration ethnique, politique et sociale. Il instaure un système de surveillance généralisée (caméras, écoutes, police politique, etc.). Mais en 1997, au moment où le parti semble avoir la situation sous contrôle, un anarchiste commence une campagne pour ébranler tous les symboles du pouvoir. Cet anarchiste qui se fait appeler « V » porte un masque représentant le visage de Guy Fawkes. Lors de sa première action d’éclat, le dynamitage du Palais de Westminster, V sauve Evey, une jeune fille de 16 ans qui risquait d’être violée puis exécutée pour prostitution. Le plan de V est en marche…

Désertion Trajectoires I - 1999-2003 – Savoir-faire Fêtes sauvages Trajectoire II - 2003-2007 – La folle du logis Habiter Trajectoires III - 2007-2010 Hackers vaillants Intervenir Trajectoires IV - 2010-2013 S’organiser sans organisations

Désertion

  • Incipit vita nova
  • Odyssée post-CPE
  • Y connaissait degun, le Parisien
  • Fugues mineures en ZAD majeure
  • Mots d’absence
  • Tant qu’il y aura de l’argent

Trajectoires I - 1999-2003 – L’antimondialisation

  • Millau-Larzac : les coulisses de l’altermondialisme
  • Genova 2001 - prises de vues
  • Les points sur la police I
  • Les pieds dans la Moqata
  • OGM et société industrielle

Savoir-faire

  • Mano Verda - Les mains dans la terre
    • Les pieds dans les pommes
    • Agrisquats – ZAD et Dijon
    • Cueillettes, avec ou sans philtres
      • Récoltes sauvages
      • Correspondance autour des plantes et du soin
      • Des âmes damnées
  • Interlude
  • Devenirs constructeurs
    • Construction-barricades-occupation
      • 15 ans de barricadage de portes de squats
      • Hôtel de 4 étages VS électricien sans diplôme d’État
      • Réoccupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes
    • Constructions pérennes–installations agricoles
    • Maîtrise technique
      • Chantiers collectifs
      • Apprentissage et transmission du savoir
      • Outils et fabrique
    • Gestes et imaginaire

Fêtes sauvages

  • Prélude
  • Faire la fête
    • Entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
    • Communautés des fêtes
      • Suite de l’entretien avec M. Carnaval, M. Free et Mme Party
      • Carte postale : Italie – La scherma
  • Éruption des fêtes sauvages
    • La fête prend le terrain : un jeu avec les autorités
      • Carnaval de quartier
      • Une Boum de gangsters
      • Compétition d’apéros géants 2009-2011
    • La fête garde la main : s’affirmer, revendiquer, s’imposer
      • Free Parties : génération 2000
      • Les karnavals des sons
      • Carnaval de la Plaine
    • La finalité des fêtes
      • Street parties : Making party a threat again…
      • Carte postale : La Guelaguetza d’Oaxaca
  • Le sens de la fête
    • Fêtes et créations d’imaginaires
      • L’imaginaire des nuits du 4 août 2011
      • Vive les sauvages !
    • Quand l’imaginaire devient tradition, coutume, culture
    • Jusqu’au bout de la fête
      • Le Banquet des nuits du 4 août
      • Ivresse, transe et Petassou

Trajectoire II - 2003-2007 – Emportés par la fougue

  • Trouver une occupation
  • Un Centre Social Ouvert et Autogéré
  • CPE, le temps des bandes
  • Les points sur la police II

La folle du logis

  • Prélude
  • Retour vers le futur
  • Mythes de luttes
    • Entretien de Wu Ming 5 et Wu Ming 2
    • Intervento
  • Figures, héros et traditions
    • Lettre à V pour Vendetta
    • Survivance
    • Entretien avec La Talvera
  • Fictions politiques

Habiter

  • Les 400 couverts à Grenoble
    • La traverse squattée des 400 couverts
    • Le parc Paul Mistral
  • Vivre en collectif sur le plateau de Millevaches
  • Nouvelles frontières
  • Matériaux pour habiter

Trajectoires III - 2007-2010 – C’est la guerre

  • la France d’après… on la brûle
  • Serial sabotages
  • Fatal bouzouki
  • La caisse qu’on attend…
  • Les points sur la police III

Hackers vaillants

  • Lost in ze web
  • Ordre de numérisation générale
  • pRiNT : des ateliers d’informatique squattés
  • Et avec ça, qu’est-ce qu’on vous sert ?
    • imc-tech
    • Serveurs autonomes
  • Logiciels libres
    • Nocturnes des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre
    • Logiciels : de l’adaptation à la production
    • Et si le monde du logiciel libre prenait parti ?
  • Hackers et offensive
    • Entretien avec sub
    • Pratiques informatiques « offensives »
  • Post scriptum
  • Chronologie

Intervenir

  • Prélude
  • Le marteau sans maître
  • Énonciation et diffusion
  • Féminismes, autonomies, intersections
  • Ancrages - Les Tanneries, 1997 - 20..
  • Rencontres avec le monde ouvrier
    • Une hypothèse
    • Aux portes de l’usine
  • Mouvements sociaux
  • Composition - indignados et mouvement du 15M

Trajectoires IV - 2010-2013

  • Charivaris contre la vidéosurveillance
  • Hôtel-refuge
  • A sarà düra Voyage en Val Susa
    • Récit de voyageurs lost in translation…
    • La vallée qui résiste
  • Les points sur la police IV
  • Une brèche ouverte à Notre-Dame-des-Landes

S’organiser sans organisations

  • Extrait d’une lettre de G., ex-syndicaliste
  • Solidarités radicales en galère de logement
  • Une histoire du réseau Sans-Titre
  • Un coup à plusieurs bandes
  • Les assemblées du plateau de Millevaches
  • S’organiser dans les mouvements barcelonais

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Mai 2006

Cher V (pour Vendetta),

Pardonnez notre hardiesse, mais il est temps que nous parlions. Ah, nous n’avons pas été présentés. Nous n’avons pas de nom, nous sommes ceux qui vous avaient accepté en imagination, quand vous brûliez les planches d’une bande dessinée. Nous savons ce que vous pensez : « ces pauvres gens ont le béguin pour moi, ce n’est qu’une tocade passagère. » Nous vous demandons pardon, mais ce n’est pas cela. Vous aviez fait germer en nous des rêves d’explosions fantastiques, de foules au rendez-vous, de renversements fracassants. Nous sommes ceux à qui vous sembliez dire qu’un plan bien échafaudé peut trouver sa réalisation, si l’on est fin observateur. Ceux que votre patience inspirait, lisant entre les lignes ce conseil : « faute de soleil, sache mûrir dans la glace. » Les présentations étant faites, tutoyons-nous, veux-tu ?

Notre ton sec n’est pas celui des déceptions sentimentales, mais celui que fait naître la trahison. Tu pensais que nous ignorions tes petites escapades filmiques ? Quelques millions de spectateurs en ont pourtant été les témoins. Nous les avons vus se glisser entre tes draps, avec leur fric et leur romantisme fétide. Cela ne nous étonne pas, les héros pèchent toujours par désir de célébrité. Oh, tu nous diras sûrement : « mais mon récit appartient à tout le monde ! » C’est trop facile, vois-tu. Et nous te retournons tes mots : « Souviens-toi, souviens-toi de ce 5 novembre, de ces Poudres et sa Conspiration. Souviens-toi de ce jour, souviens-t’en, à l’oubli je ne peux me résoudre. » Mais ce ne sont plus tes mots, n’est-ce pas ? Tu les as abandonnés à l’insane prologue de ton nouveau récit. Tu te rappelles, bien sûr, comment ce discours se termine :

Mais qu’en était-il de l’homme ? Je sais qu’il s’appelait Guy Fawkes et je sais qu’en 1605, il tenta de faire exploser le Palais du Parlement. Mais qui était-il vraiment ? Comment était-il ? On nous dit de nous souvenir de l’idée et non de l’homme, parce qu’un homme peut échouer. Il peut être arrêté, il peut être exécuté et tomber dans l’oubli. Alors qu’après 400 ans, une idée peut encore changer le monde. Je connais d’expérience le pouvoir des idées. J’ai vu des hommes tuer en leur nom et mourir en les défendant… Mais on ne peut embrasser une idée. On ne peut la toucher ou la serrer contre soi. Les idées ne saignent pas, elles ne ressentent pas la douleur… et elles ne peuvent aimer. Et ce n’est pas une idée qui me manque, c’est un homme… Un homme qui m’a fait me souvenir du 5 novembre. Un homme que je ne me résoudrai jamais à oublier. »

Ita missa est. Tu es mort. « Pas une idée, mais un homme »… Cette séparation d’emblée te brise, et d’une parole te fait déchoir. La suite n’est que le récit d’un meurtre lent et sadique, consciencieux : le meurtre du héros. En moins de deux heures, tu as disparu, tu es autre chose. Toi l’incorruptible, tu as signé le pacte faustien, et te voici humain. Mais sais-tu quel sort on réserve en ce monde aux sirènes amoureuses ? Tu as voulu un genre, et un sexe. Tu étais capable d’amour vrai, te voilà affublé de sentimentalisme.

On dit des masques qu’ils abolissent les distinctions, notamment les distinctions homme/femme, et qu’en instaurant (et dépassant) la bisexualité, ils s’attaquent aux fondements de l’idéologie judéo-chrétienne qui défend ces lignes de partage. Force est de constater que ce film les défend également. Nous, nous aimions ce flou autour de ta sexuation ou de ta sexualité. Tu étais symboliquement un père (donc privé de droits sexuels sur Evey [1]), tu étais aussi – pardon de te le rappeler – la victime d’expériences hormonales (on sait qu’il poussait des tétons à tes codétenus), et le destinataire des lettres d’amour d’une lesbienne. L’équation force=virilité était très sérieusement remise en question. Mais voilà que tu tombes amoureux ! Nous qui croyions qu’Evey faisait partie de ton plan, elle t’en dévie désormais (« je n’avais que mon projet en tête jusqu’à ce que je te rencontre », dis-tu aujourd’hui). Et sans vouloir être grossiers, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’elle te tient par les couilles. Et, toi le vengeur, tu te laisses maintenant dénoncer à un prêtre – qui plus est pédophile – sans sourciller. On ne te reconnaît plus. Et elle est également méconnaissable. La voici complète, finie, n’ayant rien à apprendre malgré son jeune âge (ah, si, il lui manquait juste une petite rencontre avec dieu). Au contraire, c’est même elle qui t’initie à ce sentiment guimauve. Elle reste « elle-même ». Le héros, ici, est la jeune fille postmoderne, asexuée, dénuée de désir, de penchant vers l’autre. Vous qui aviez une relation si fine et complexe, vous vous vautrez maintenant dans l’amour tel qu’Hollywood le perçoit, c’est-à-dire une relation contre le politique, une relation qui affaiblit, et qui empêche tout héroïsme (et bien évidemment, nouveau cliché : c’est le personnage féminin qui incarne ce rôle normalisateur, qui dévie l’homme de ses objectifs). Nous ne découvrons plus vos gestes, mais les affres de vos états d’âme. Et nous sommes désolés de te le dire si sèchement : on s’en contrefout ! Avant, vous ne parliez qu’en actions, et c’est pourquoi nous vous reconnaissions comme des héros. Cela ne signifie pas que vous n’étiez que force, mais que votre faiblesse était énoncée en actes. Et l’on vous voit pleurant de grosses larmes collantes, qui devant un film, qui devant un lit vide… C’est lamentable. Comment peux-tu encore exiger des autres qu’ils se dirigent eux-mêmes, qu’ils dirigent leur vie, leurs amours ?

Parlons ensuite de tes idées. Tu te prétendais anarchiste, adepte des renversements brutaux. Force est de constater que tu t’es ramolli, tu es bien moins bavard sur cet « après » qu’il s’agit d’instaurer. Tu vas même jusqu’à accepter que les médias et la police soient les nouveaux rédempteurs ! Oh, je t’entends déjà dire que c’est un poulet « à l’ancienne », que sous l’uniforme, il y a un être sensible, qu’il n’a fait que son travail, et toutes ces inepties. Fais attention V, car il va te remplacer ! C’est ce qui arrive quand on devient passéiste et nostalgique d’un ordre ancien. Tu parles comme un bouffon d’avant-guerre, d’avant ta guerre. D’ailleurs nous remarquons qu’elle a insidieusement changé. Tu nous avais pourtant dit qu’il s’agissait d’une guerre nucléaire, et non civile. Ta version de l’histoire change au gré des producteurs, pourrait-on penser si l’on avait l’esprit mal tourné. Oui, nous insinuons que tu as été acheté, et que tu as également troqué la liberté contre la religion. N’est-ce pas dieu – et non plus la liberté que tu disais chérir – que rencontre Evey dans cette parodie ? Le Destin, ce système informatique qui dirigeait et observait tout a lui aussi opportunément disparu. Décidément, l’argent hollywoodien a l’odeur du repentir.

Parlons enfin de toi, V. Tu n’es plus le masque d’une idée, d’un projet. Tu les as laissés mettre une barrière entre toi et le mouvement (désormais pacifique) qui s’annonce. Tu les laisses te présenter comme un monstre engendré par des monstres. Envolé, le vengeur, ne reste qu’un revanchard fou. Il est alors dans l’ordre des choses que la raison l’emporte sous les traits raisonnables d’Evey et du flic. Ton masque ne symbolise plus une idée, mais cache une infirmité, une laideur. Sa puissance disparaît et l’on ne voit qu’un individu dont l’histoire tragique n’est plus symbolique que d’un problème de gouvernement passager. Au lieu de liquider l’être qui se trouve derrière, le masque ici le révèle. Inversion déplorable… Où sont passés ton mystère, tes paroles d’oracle métaphoriques, ta détermination ? Noyés sans doute dans la mélasse pathétique du romantisme, ou bien encore neutralisés par l’éthique molle qui s’acoquine déjà avec les garants de l’ordre. Tu t’es laissé ridiculiser par des nostalgiques de Benny Hill… Tout ce que ton masque gardait indistinct a été séparé : le héros et l’idée, l’homme et la femme, l’humain et le surnaturel, le fou et le normal, etc. À la fin, la foule, inquiétante jusqu’alors, retire le masque. Ils n’ont pas besoin de se révolter, ils peuvent rester cette masse aux regards désormais personnalisés, individualisés. Quant à Evey, elle ne mettra jamais le masque… Pas besoin, sa jolie frimousse en est un très acceptable.

Nous avons assez parlé, c’est trop de mots pour une déchéance. Tu n’es plus un héros. Voilà ce qui se produit lorsqu’on écarte les ambiguïtés, lorsqu’on rend transparente l’opacité qui ouvre aux rêves. Tu te prétendais héritier d’une conspiration au sein de laquelle, depuis notre siècle, on ne saurait juger du bien et du mal. Elle était ambivalente – car menée par des catholiques – cette tentative de destruction du parlement, le 5 novembre 1605. Depuis, chaque 5 novembre, le parlement anglais est fouillé. Et pour conjurer le retour de la « conspiration des poudres », on brûle encore tous les ans, en chaque recoin du Royaume-Uni, des effigies de Guy Fawkes (l’homme qui fut arrêté devant trente-six barils de poudre, avec une lanterne et une allumette à la main). Tu vois, on s’en souvient encore, de ce mois de novembre-là. Mais de quelle manière, là est le nœud du problème. Tu aurais pu modifier cela, mais on ne change rien en amollissant. Eux le savent, écoute donc leur comptine, et juge sa détermination autant que son ambiguïté :

Guy Fawkes, Guy Fawkes, avait l’intention

De faire sauter le Roi et le Parlement.

Soixante barils de poudre dessous

Pour renverser la vieille Angleterre.

La Providence divine a voulu qu’il ait été attrapé

Avec une lanterne sourde et une allumette enflammée.

Holà garçons, holà garçons, sonnez les cloches.

Holà garçons, holà garçons, Dieu sauve le Roi !

Hip hip hip hourra !

Un sou de pain pour nourrir le pape.

Une obole de fromage pour l’étouffer.

Une pinte de bière pour le tremper.

Un fagot de brindilles pour le brûler.

Brûlez-le dans un bain de goudron.

Brûlez-le comme une étoile filante.

Brûlez-le de la tête aux pieds.

Johnny Pothèse, Alice, et quelques-uns de leurs amis.

[1] Personnage féminin du film et de la B.D. C’est elle qui prononce le discours cité plus haut.

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Fictions

Genova 2001 - prises de vues
Lost in ze web
Prélude
Prélude

Correspondances

Nouvelles frontières
correspondance autour de l’habiter
Carte postale : Italie – La scherma
Une Boum de gangsters
Lettre d’un « boomeur du bitume » (alter ego urbain des noceurs de la cambrousse) écrite après un match fête-police enflammé dans la ville de Dijon

2006

La caisse qu’on attend…
Solidarité face à la répression – Lyon
Odyssée post-CPE
Carte postale : La Guelaguetza d’Oaxaca
(Mexique)

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Cet abécédaire du Pays basque insoumis a été rédigé en vue du contre-sommet du G7 qui se tiendra en août 2019 à Biarritz. Il a été pensé comme une première rencontre avec un territoire et ses habitants. Car le Pays basque n’est ni la France au nord, ni l’Espagne au sud, ou du moins il n’est pas que l’Espagne ou la France. On s’aperçoit en l’arpentant qu’y palpite un monde autre, déroutant : le monde en interstices d’un peuple qui se bat pour l’indépendance de son territoire. Borroka, c’est la lutte, le combat, qui fait d’Euskadi une terre en partie étrangère à nos grilles d’analyse françaises. C’est de ce peuple insoumis et de sa culture dont il sera question dans cet ouvrage.
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