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Nous partons de là, de ce sentiment de désaccord avec le monde qui se concrétise en actes de décalage. Désertion est donc un bien grand mot, mais il est ce point de départ qui nous a menés dans des vies un peu plus imprévues, un peu moins droites que celles dont on nous faisait la publicité. Le monde, ce pouvait être la famille, la bien-nommée société, l’école, le travail, toutes ces routes déjà pavées, bordées de garde-fous trop hauts. Désertion, car nous ne croyons pas qu’on change les choses « de l’intérieur », sans pour autant nous bercer d’illusions sur l’existence d’un extérieur… Il ne s’agit donc pas ici de trouver sa place à la marge, de se confectionner un nid RMI sans plus jeter un œil par-dessus les bords, mais de tenter, toujours, de conserver ce décalage, de le réactualiser chaque fois que nos sentiers nous ramènent sur la grand-route. Chaque situation recèle en elle cette possibilité d’écart, dans ce domaine il n’est pas de recette universelle, pas de chemin parallèle évident à rejoindre. Juste des points de départ…
Ils ont 14 ans, 18 ans, 42 ans. Ils ont aperçu quelque chose à travers l’huis entr’ouvert et ont voulu aller voir. Certains pensaient que la porte se refermerait à jamais derrière eux, sur la vie d’avant. C’était un mardi, un jeudi, un dimanche, pendant une manif, pendant les heures de colle, en allant au boulot. Chacun aurait pu dire : « quelque chose cloche, aujourd’hui. » En réalité, c’était tout qui clochait, une symphonie désordonnée, et justement, aujourd’hui, ça allait mieux, ça s’accordait. Une décision, un hasard, des échanges, un bouillonnement. Après ça va vite, d’un coup. Vite et clair. La normale au bord de la route, abandonnée au pas de la porte. C’est intense, c’est rapide, ou c’est long. Puis le temps revient à lui. Voilà le moment de la décision, renouvelée. Recommencer à dix, à trois, à un. Alors, comme ça dépend des fois, comme la porte reste ouverte – elle n’existe pas – chacun raconte ce qu’a été, ce qu’ont été, ses « désertions ». On ne va plus à la guerre enfermé dans des estafettes grillagées, c’est vrai. Alors qu’est-ce qui amène tant de gens, dans le petit matin frileux, sur les quais des RER ? L’argent ? L’argent tout seul ? Qu’est-ce qui nous amène à nous dire un matin : « ben faut bien quand même », avec dans la bouche la rouille du regret ? Mais surtout, qu’est-ce qui parfois nous donne la force d’être sourds à cet appel, à cet ordre de mobilisation-là ? Cette force et ses replis, son émergence et ses faiblesses, comme une tension d’équilibriste qui parfois vacille, voilà qui émaille et nourrit les cinq récits qui vont suivre.
Nous partons de là, de ce sentiment de désaccord avec le monde qui se concrétise en actes de décalage. Désertion est donc un bien grand mot, mais il est ce point de départ qui nous a menés dans des vies un peu plus imprévues, un peu moins droites que (...)